Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
plan.
Après en être convenu, il me parle à nouveau de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet pour lesquels il m'avoue pour la première fois avoir gardé quelque amitié. Il m'a dit le contraire il y a quelques mois, mais les choses ont pu changer, et sa colère s'effacer derrière des souvenirs de collaboration plus plaisants.
Cela ne l'empêche pas d'estimer que Marie-France ne se retirera pas avant le premier tour. Sauf si, d'aventure, elle ne réunissait pas les 500 signatures nécessaires 8 . Pour Michel Debré, c'est autre chose : « Admets qu'il obtienne 2 % des voix et moi 20 %, et qu'il m'empêche d'être en numéro 2 : on le lui reprochera toute sa vie. C'est cela, le plus triste ! »
« Pour la première fois, dit-il encore, je ne vois pas qui peut être élu. Giscard ? Je suis certain qu'il ne le sera pas. Mitterrand ? Il n'a pas changé, c'est le même homme, le même programme qu'en 1974, avec sept ans de plus. Comment pourrait-il l'emporter ? Georges Marchais, c'est exclu, et même moi, je ne me vois pas élu. Alors je suis dans le bleu, moi qui ne le suis jamais ! En 1969, j'étais sûr de la victoire de Georges Pompidou ; en 1974, de celle de Giscard. En 1978, je n'ai jamais cru à une possible victoire de la gauche. Cette fois, c'est différent ! »
Ces perspectives pessimistes tracées, il reconnaît, sur un ton plus serein, sa joie de n'avoir plus aujourd'hui de conseillers.
Bernard Pons, qui l'écoute, sourit. Ce médecin de province, député du Lot quoique né à Béziers, tout petit, presque malingre, aux yeux étonnamment bleus dans un visage osseux, qui accompagne maintenant Chirac partout, n'a jamais brigué ce titre : il pense sans doute avoir parcouru un tel chemin, depuis son cabinet médical et son élection à l'Assemblée nationale, que peu lui importe de ne pas être officiellement qualifié de « conseiller ».
Nous voici arrivés à Marseille où Chirac, tout à son affaire, se paie le luxe d'une descente de la Canebière, serrant des mains à s'en briser les doigts, entouré, fêté par ses militants. Un « Club de la presse » l'attend à 19 heures.
Je saisis au vol, telles qu'elles viennent dans l'émission, ses réponses aux journalistes locaux. Interrogé sur les comptes de sa campagne, il annonce qu'il les publiera et qu'il souhaiterait que tous les candidats fassent de même.
À propos de l'Espagne où un coup d'État militaire vient d'avorter dans la nuit 9 , il tire la leçon que le régime démocratique est le meilleur des régimes, mais aussi le plus fragile : « Ne jamais oublier que la démocratie est un régime d'autorité, on a parfois trop tendance à l'oublier. »
Il y revient tout de suite pour redire, en réponse à une question sur la sécurité : « Il y a urgence à prendre conscience de l'autorité de la démocratie pour appliquer la loi sans faiblesse et sans états d'âme. »
Ce qui ne l'empêche pas de convenir avec plus de force que je ne le pensais que « la meilleure politique de prévention, c'est une politique culturelle qui prenne en compte un certain nombre de marginalisations intellectuelles ».
Un passage, à ce sujet, sur le décalage entre le discours politique et la jeunesse : « Je crois finalement que cela est dû au fait qu'aujourd'hui nos concitoyens sont confrontés à des problèmes concrets : inflation, chômage, sécurité. Or, la plupart de nos discours politiques restent désespérément axés sur un jeu intellectuel qui nous conduit trop souvent à développer des thèmes purement politiciens. »
Il n'a pas le temps de développer cette analyse. Il est attendu dans moins d'une heure salle Vallier. Le temps de nous rapprocher de la salle et nous voici pris dans un début d'embouteillage, la foule des militants RPR de Marseille s'étant mobilisée comme un seul homme. Chirac atteint finalement la tribune au son d'une symphonie de Mozart. Il reprend d'une manière plus ou moins répétitive tous les thèmes qu'il a développés depuis Toulon et Digne.
À cette différence près que, cette fois, il s'en prend directement à Giscard, à son « inconséquence et à son gaspillage », à son abandon d'une « certaine idée gaulliste de la France ». Il parle même de la « voix chevrotante » de la France. Allusion au maréchal Pétain, carrément injurieuse pour Giscard !
Quand je l'écoute, je remarque qu'il emploie souvent les mêmes mots que Michel Debré ; leurs discours
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