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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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responsabilité, vers une société de l'espoir ! »
    « Allez-vous briser l'élan de la France ? » demande-t-il encore à son auditoire conquis. C'est sa voix à lui qui se brise. On lui tend un verre d'eau. Il respire un instant et poursuit par un formidable lapsus : « Vous voulez une société sans protection... ? » Il s'arrête, se reprend : « ... une société sans besoin de protection ? »
    Je reviens, quand il en a terminé, sur son discours : excellent de bout en bout, sauf l'appel final, à la limite du ridicule, à « Madame la France ». La dramatisation de ce soir laisse pressentir ce que va être la semaine prochaine. Il a d'ailleurs eu cette phrase qui, venant de lui, est révélatrice de son inquiétude : « L'angoisse m'étreint le cœur ! »

    9 mai
    Demain, le deuxième tour. Rien, dans ce cahier, sur le face-à-face télévisé du 5 mai. Parce que je n'ai eu que le temps de le préparer avec Jean Boissonnat, choisi comme moi pour l'animer, d'un commun accord entre Mitterrand et Giscard.
    Quelques dates, néanmoins, pour servir de repères.

    Le soir même du premier tour, VGE a fait savoir qu'il proposait à Mitterrand deux débats, l'un sur les problèmes intérieurs, l'autre sur la politique extérieure. Dès le 29 avril, Robert Badinter, avocat et ami de Mitterrand, a formulé les treize – pas une de moins – conditions indispensables pour que Mitterrand accepte un débat télévisé. Parmi elles (je vais vite), l'arbitrage des débats par deux journalistes jugés indépendants.
    Réponse de Giscard depuis Bourges où il présidait un « dîner républicain » : il préfère un face-à-face classique, sur le modèle de ce qui avait été fait en 1974. Mitterrand commence par refuser, car il craint, dit-il, le coupe-gorge. Ses adversaires parlent alors de dérobade. Il faut dire que Giscard n'a pas peur de ce débat qui lui a si bien réussi en 1974, tandis que Mitterrand s'en méfie, car il garde une impression désastreuse de cette joute oratoire perdue sept ans auparavant. Les représentants des deux candidats continuent néanmoins de discuter.

    Le samedi matin, 2 mai, Fabius m'appelle à RTL, et m'interroge sans y toucher : « Arbitrer le face-à-face, tu ne serais pas contre ? »
    Je dis que non, que je n'ai rien contre. J'en dis deux mots à Jacques Rigaud et à Raymond Castans. Ils me donnent leur feu vert éventuel. Nous pensons tous trois qu'étant donné le tour qu'ont pris les relations entre Giscard et RTL, serais-je retenue par Mitterrand que je n'aurais guère de chances d'être acceptée par Giscard.

    C'est le lundi que mon nom est publié comme étant retenu parmi les arbitres du duel avec celui de Jean Boissonnat. Notre rôle est au surplus de « veiller au bon déroulement du débat », comme si celui-ci, sans nous, pouvait à tout moment tourner au pugilat.
    Nous nous sommes isolés tous deux, dans son appartement de la rue de Varenne (en face de Matignon), pour préparer nos questions. Inutile de dire que nous n'avons parlé, que nous ne sommes entrés en contact direct ou indirect avec aucun des candidats. Nous ne savions même pas que les contacts continuaient entre les deux états-majors pour régler les problèmes pratiques : lieu de la rencontre, place de la commission de contrôle, réalisation, nombre de caméras, etc.

    Ce face-à-face, donc, je l'ai fait entre un Giscard glacé et un Mitterrand épanoui qui a été pourtant bien mauvais sur les institutions et les nationalisations, mais bon en tous autres domaines. J'ai joué ce rôle avec une trouille épouvantable : je n'ai jamais fait de télévision, c'est d'ailleurs pour cela que j'ai été choisie, et l'épreuve, en direct devant la France entière, me paraissait hors de portée.
    Bref, au début, Giscard a paru agacé par moi. Il a manifestement davantage confiance dans la science économique de Boissonnat. À la fin, pourtant, à quelques reprises, nous échangeons un sourire. Moi, c'est parce que je le sens épuisé et surtout angoissé. J'ai même, au cours du débat, eu l'impression fugitive qu'il avait perdu la partie. Giscard m'a regardée à un moment donné tandis que Mitterrand faisait un développement sur les nationalisations et l'économie : s'il avait pu lever les yeux au ciel, il l'aurait fait. Il avait l'air de me dire presque avec indignation, quêtant ma sympathie : « Vous voyez bien qu'il dit n'importe quoi ! »
    Cela n'a pas empêché

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