Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
sa place 22 ! »
2 mai
Roland Leroy me parle de l'atmosphère régnant à la direction communiste au soir du premier tour. Ils s'attendaient à 5 à 6 millions de voix : en comptabiliser à peine plus de 4 n'a pas contribué à réchauffer l'ambiance. Et puis, au moment où aucun doute n'était plus permis, l'un d'eux (il ne me dit pas qui) ironise : « Nous devrions, dit ce plaisantin, envoyer aux agences de presse un communiqué ainsi rédigé : Nous espérons que nos camarades français trouveront en eux-mêmes de quoi surmonter leurs difficultés ! »
3 mai
Cette fois-ci, Mendès est venu soutenir Mitterrand. Il vient de rendre compte du travail des experts socialistes réunis toute la journée au Sénat sur les dossiers sociaux et économiques. Nous sommes dans la salle Médicis : fauteuils rouges, murs clairs ; il est 15 heures. Parmi l'assistance, tout ce que la gauche non communiste compte de grandes voix ou de jeunes maîtres à penser, de Pierre Mendès France à Jacques Attali. Avant que Mitterrand ne prenne la parole, PMF présente leurs contributions. Il distingue deux psychologies différentes d'hommes politiques : « Il y a, dit-il, les hommes qui estiment devoir faire face, au jour le jour, le moins mal possible, quitte à laisser les grandes options fondamentales se déterminer d'elles-mêmes. Et puis ceux qui, plus ambitieux ou plus déterminés, estiment nécessaire d'analyser les situations, de prendre des décisions pour orienter l'ensemble d'une action constructive. »
On imagine dans quelle catégorie Mendès se situe lui-même ! Il continue par une critique en règle de la pensée libérale « qui a pour conséquence non seulement de ne pas résoudre le problème de fond, mais aussi de l'aggraver ».
Le voici, sage parmi les sages, autorisant, si j'ose dire, en jetant tout son poids moral dans la bataille, Mitterrand à gagner la partie.
Mitterrand intervient après lui, largement moins théorique. Il lui rend hommage en une phrase : Mendès, « c'est une autorité, une expérience et une présence que je juge indispensables ! ». D'autant que le candidat redoute aujourd'hui, à quelques jours du deuxième tour, la dramatisation faite par Giscard et ses partisans autour de la victoire possible d'un socialiste à la présidentielle : « Le voici agité et perdant son contrôle. Il n'a plus qu'une idée : éveiller le réflexe en brandissant l'épouvantail d'un changement de société ! L'argument a trop servi ! »
En ce sens, la présence de Mendès aujourd'hui est importante pour Mitterrand : elle a pour vertu essentielle de rassurer ceux qui redoutent une aventure économique.
« En appeler à la peur, poursuit-il, l'organiser, parler de valse de la mort, c'est perdre le sens commun. La réalité est que Valéry Giscard d'Estaing incarne une politique qui a échoué ; j'incarne l'autre politique, qui repose sur l'adhésion du pays. La peur, c'est la méfiance envers soi-même ; c'est le chômage et le désordre. Pour redonner toutes ses chances au pays, il faut unir et non diviser » – telle est sa conclusion.
À peine Mitterrand a-t-il terminé son propos que je file porte de Pantin écouter Giscard. Passer de l'un à l'autre en quelques heures, quelques minutes, rien ne m'amuse autant. Les deux hommes sont si différents que c'en est caricatural : physiquement, l'un est aussi longiligne que l'autre est ramassé. Leur éloquence est aux antipodes : froide chez Giscard ; romantique, volontiers emphatique chez Mitterrand. Le public qui les écoute est différent, leurs lieutenants le sont aussi.
Devant une foule de plus de 100 000 personnes, canotiers tricolores sur la tête, Giscard, ce soir, porte de Pantin, ne mégote pas ; il appelle les gaullistes à sa rescousse : « Dans cette élection, affirme-t-il, je suis le seul à pouvoir maintenir l'héritage institutionnel du général de Gaulle. »
Hommage à Chirac (ces phrases doivent avoir du mal à sortir de sa bouche !) qui « a eu raison de défendre les idées de liberté contre la bureaucratisation rampante, et de souhaiter une France forte et active. J'ai le devoir de reprendre ses termes, je le ferai d'autant plus facilement que ses idées sont les miennes. Voici mon devoir ! ».
Appel lyrique, pour la première fois dans cette campagne, à l'unité de la majorité : « Ouvrons à deux battants les portes de l'avenir vers une société de liberté et de
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