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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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Mitterrand de poursuivre sa démonstration comme s'il ne remarquait pas l'exaspération de Giscard. En 1974, lors du premier duel qui l'avait opposé à Giscard, il s'était, m'avait-il dit un jour, « désuni » – comme on dit d'un cheval – en plein milieu du débat. Il avait pensé un instant à autre chose, et c'en avait été fini de sa concentration. Quand Giscard lui avait sorti le « monopole du cœur », il avait été paralysé. Cette fois, il avait préparé son coup de l'« homme du passé et l'homme du passif », il l'a asséné dès qu'il a pu, puis a tenté de pousser son avantage jusqu'au bout.
    Seule note gaie durant ce face-à-face : un petit conflit qui a surgi entre les deux hommes avant le débat, au maquillage. Les deux candidats, arrivés à quelques minutes d'intervalle à la Maison de la Radio, où se trouve le studio d'enregistrement du débat, ont demandé ensemble la même maquilleuse, dont je ne me rappelle que le prénom : Nelly. Ce n'était pas prévu par la commission de contrôle. Nelly a arbitré avec un grand sang-froid : elle a choisi Mitterrand. Giscard n'a pas manifesté d'émotion. Il était simplement ahuri qu'on puisse lui préférer Mitterrand !
    Pas d'empoignade directe entre les candidats au cours de l'émission. Chacun était finalement assez content de sa performance : Mitterrand craignait que le débat ne tourne uniquement autour de la question de la présence des ministres communistes au gouvernement. Cela n'a pas été le cas. Giscard voulait séduire les électeurs de Chirac au premier tour ; il s'est adressé à eux en priorité, et je pense qu'il est parvenu à leur faire craindre l'élection de Mitterrand.

    Le lendemain du face-à-face, le vent tourne. Chirac se sent obligé, après s'être enfermé quarante-huit heures à l'hôtel de ville de Paris, de prendre une position plus manifeste en faveur de Giscard. Mitterrand descend dans les sondages, puis remonte. À la veille du deuxième tour, ils sont à 52/48. Aujourd'hui samedi, seul un miracle pourrait empêcher Mitterrand d'être élu.

    Je reviens encore une fois sur la chronologie de la semaine. Après le débat du 5 mai, André Rousselet m'a proposé de me joindre au dîner qui suivait, chez Bofinger, place de la Bastille. Je n'aurais peut-être pas dû y aller, mais le débat était fini, j'y étais restée une arbitre neutre de bout en bout, et il ne m'a pas semblé que c'était m'engager que de m'y rendre.
    Au cours du repas, je dis à Mitterrand en riant : « Qu'allons-nous faire, nous tous qui vous suivons en campagne ?
    – Eh bien, me dit-il, nous allons commencer par manger ! De toute façon, poursuit-il, je ne compte pas habiter à l'Élysée.
    – Rien ne sera plus jamais comme avant ! »
    Il m'interrompt en riant : « Alors, on rompt ? »
    Autour de la table, j'ai remarqué que cela ne faisait pas rire grand monde. Chacun s'interroge sur la suite de l'histoire...
    Au demeurant, l'humeur n'est pas au beau fixe. Jacques Delors, qui est assis à côté de moi, Jacques Attali, André Rousselet, de l'autre côté de la table, tous sont perplexes. En gros, ils pensent – et je pense comme eux – que Mitterrand n'a pas été étincelant, dans ce face-à-face.
    « Mais enfin, lui dit Delors qui n'y tient plus, pourquoi avez-vous dit que vous nationaliseriez toutes les banques ?
    – Oui, j'ai un peu exagéré », répond Mitterrand, lointain.
    Attali déplore de son côté qu'il ait laissé dire que 50 % de l'économie allait être nationalisée, s'il était élu. Delors lui souffle, assez bas pour que personne ne l'entende, hormis ses voisins immédiats, c'est-à-dire moi : « Il faudra préparer une note dès demain ! »

    Je ne comprends trop rien à cette campagne. Je n'arrive pas à comprendre comment les Français pourraient élire Mitterrand alors qu'il leur propose une crise de régime et de nouvelles élections !
    Jeudi, Rousselet m'a appelée. Sa voix est réjouie, il n'éprouve plus aucune crainte. « C'est dans la poche, m'a-t-il dit, les sondages sont à 52/48. Il aurait pu, comme en 1974, perdre ce face-à-face. À partir du moment où il a tout simplement résisté à Giscard, il a gagné ! »
    Pourtant, j'ai vu Mitterrand faire campagne en 1965 et en 1974. Celle de cette année est de loin la plus mauvaise. De sa part à lui. Parce qu'il s'est le plus soumis à l'avis d'autres que lui, qui ont choisi laquelle de ses photos mettre sur les

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