Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
sur tout un chacun, et parfois aux dépens de lui-même. Il n'aura peut-être pas l'occasion de l'exercer au perchoir où le voici élu.
Que de changements chez les députés d'aujourd'hui ! Âge moyen : moins de la cinquantaine. Origines : beaucoup de professeurs. Allure générale : décontractée. Apparence : chevelue et même souvent barbue. Volonté : réformer le monde. Diable ! Beaucoup seront déçus...
6 juillet
Dîner avec Jacques Chirac, qui, tout content du culot qu'il a montré, me raconte son entrevue avec François Mitterrand après sa prise de fonctions. Mitterrand lui a demandé :
« Allez-vous contester mon pouvoir ?
– Sûrement pas, lui a-t-il répondu, puisque j'ai bien l'intention de vous succéder ! »
François Mitterrand l'a pris assez bien, m'assure Chirac, lui confiant qu'il ne se représenterait pas après son premier septennat.
Je demande à Chirac s'il compte, à la rentrée, réunir les journées parlementaires du RPR. Il feint de rigoler et répond, mi-figue, mi-raisin : « Eh bien, on n'a plus besoin d'une extraordinaire infrastructure hôtelière, maintenant ; une petite pension de famille suffira ! »
8 juillet
Ce n'est pas une déclaration d'investiture, c'est le premier discours-programme, et fleuve, de Pierre Mauroy devant les députés. Il est précédé, comme toujours, du message du président de la République à l'Assemblée nationale 46 . Tous les députés se lèvent, c'est la coutume, à sa lecture. Deux parlementaires seulement restent assis. Je n'en connais qu'un seul : La Combe.
Dans son message, Mitterrand a quelques phrases pour les députés de l'opposition auxquels il dédie ses vœux : « Tous sont, à titre égal, représentants du peuple. La République n'appartient à personne. » Il assure tous les parlementaires que « le rôle du Parlement est appelé à s'élargir », qu'il attend d'eux qu'ils « participent au redressement national ».
Quelques mots pour affirmer qu'il aura recours le plus souvent possible « à la voie contractuelle » pour ce qui concerne la durée du travail, le temps libre, insistant sur le fait que la vie moderne appelle d'autres équilibres : information libre, droits des travailleurs dans l'entreprise, décentralisation. La fin du message de Mitterrand porte sur l'Europe et les perspectives européennes.
Massif dans un costume bleu marine, assez bel orateur populaire avec tout ce qu'il faut – et peut-être un peu trop – de lyrisme et de romantisme, Pierre Mauroy fait maintenant face aux députés. Pour préparer son discours, m'a-t-il dit tout à l'heure, il a relu celui sur la « nouvelle société » prononcé par Chaban-Delmas dans les mêmes circonstances, en septembre 1969. « À quelques détails près, m'a-t-il confié, ce texte n'a pas vieilli. » Hommage inattendu du premier Premier ministre de la gauche au premier Premier ministre de Georges Pompidou qui crut qu'il pouvait, lui aussi, changer la société. La seule différence, pense Mauroy, c'est que Chaban n'avait pas la majorité de sa politique. Il dispose en revanche, lui, de la plus confortable majorité que la gauche ait jamais connue.
Pour commencer, Mauroy revient sur les trois roses de Mitterrand au Panthéon :
« Une rose pour Jean Jaurès, celle de l'héritage. Dans cette longue marche, le moment que nous vivons n'est qu'une étape. À nous de dominer la machine : c'est le défi de la première rose.
« Une rose, poursuit-il, pour Jean Moulin, qui a su réunir toutes les composantes de notre peuple dans la lutte contre l'envahisseur. Une rose enfin pour Victor Schœlcher, qui, en son temps, a su faire de la France la terre de la liberté. »
Signification de ces trois symboles : « L'homme doit devenir la mesure de toute chose, et c'est à l'échelle humaine qu'on juge une politique. »
Je ne sais combien de députés savent qu' À l'échelle humaine est le titre d'un ouvrage. Moi qui, enfant, ai entendu mon père, après la guerre, commenter indéfiniment les phrases de l'ancien président du Conseil du Front populaire, cette allusion à Léon Blum me semble signer tous les propos du Premier ministre, qui se situe dans le droit-fil de la social-démocratie française.
« Non au langage des chiffres, non à la déshumanisation du travail, non à l'invitation à gérer l'imprévisible : les Français savent bien que les lendemains ne seront pas faciles, mais ils ont choisi de se battre. Mon
Weitere Kostenlose Bücher