Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
programme n'est pas celui d'une France frileuse, d'une France qui renoncerait à ses engagements internationaux. C'est celui d'une France forte du travail de tous les siens, d'une France entreprenante et volontaire, fière de son message universel, d'une France des droits de l'homme, championne du nouvel ordre international ! »
Bref, Mauroy s'emploie à calmer l'opposition pendant qu'il assure la majorité de sa volonté socialiste.
Suit un discours très long, assez classique dans le genre. J'en retiens l'annonce d'un plan de deux ans dont l'objet principal sera de combattre le chômage, ce qui passe obligatoirement, selon Mauroy, par la réduction du temps de travail, et dont les artisans seront les partenaires sociaux à qui il revient au premier chef de « faire progresser les transformations nécessaires ».
Le discours est, comme toujours chez Mauroy, très optimiste : l'État sera rendu aux citoyens, les syndicats sont les gardiens vigilants du bien commun, les policiers ne s'occuperont que de prévention, les Français doivent être réconciliés avec leur industrie. Moyennant cependant quelques rendez-vous précis qui ne sont pas du goût de l'opposition : Mauroy affiche clairement la volonté de la gauche de procéder à des nationalisations, notamment celle du secteur bancaire, et, dans les groupes industriels, celle, immédiate, de Dassault, suivie de celle d'Usinor-Sacilor.
Sur une conclusion prosaïque : « Nous avons du pain sur la planche ! », Mauroy se rassoit à son banc. Son discours, commencé à 15 h 13, s'achève à 16 h 45. Une heure et demie pour « changer la vie » !
Jean-Claude Gaudin répond pour l'opposition. Pour une fois, cet amateur d'histoires drôles et de bonne chère ne sourit pas. Transformé en statue du Commandeur, il prend « rendez-vous, pour l'avenir, au nom des responsables de la nation ». Il termine d'une phrase : « La république des professeurs, dit-il, ne réussira pas à faire croire aux Français qu'ils étaient dans la misère économique et privés de toutes les libertés. »
9 juillet
Michel Rocard donne une conférence de presse sur la mission qui lui a été confiée : il a en charge le Plan.
Il se force pour faire croire à son auditoire et à lui-même qu'il occupe désormais un des tout premiers postes ministériels de l'État. Il est le premier à savoir qu'il n'en est rien. Il manque vraiment de chaleur ; sa voix même est voilée. Ce qui ne l'empêche pas de démontrer, comme pour s'en convaincre lui-même, que le Plan est un irremplaçable lieu de dialogue social et régional.
Il annonce néanmoins son calendrier en même temps que sa volonté d'aller vite : le nouveau Plan doit entrer en application le 1 er janvier 1982 ; les textes seront présentés au Sénat et à l'Assemblée nationale à la mi-septembre, le Conseil économique et social sera consulté en novembre.
La première priorité qu'il affiche est, comme Mauroy hier, l'emploi. Il le fait en tentant de garder ce qui a été une des premières causes de son succès politique et médiatique des années 1978-1980 : ce que les journalistes avaient appelé le « parler vrai » de Michel Rocard. Moins romantique que Mauroy, plus précis que Mitterrand, il affirme sa volonté de ne pas « bluffer » les Français, d'apporter des réponses « concrètes » à leurs préoccupations. Interrogé sur les nationalisations sur lesquelles il a émis depuis quelques années d'importantes réserves, il en défend aujourd'hui le principe, tout en reconnaissant la « fragilité momentanée » de cette politique...
10 juillet
Ça y est : la République mitterrandienne est en marche, elle peut continuer sans moi. C'est le moment de partir en vacances pour être là avant la rentrée !
Fin juillet
Pierre Mauroy m'a appelée il y a quelques jours pour me demander si j'accepterais la présidence de Radio France. Je ne sais pas au juste ce que cela veut dire. Je connais bien France Inter où j'ai été éditorialiste quotidienne, puis hebdomadaire, de 1976 à 1980, date de mon entrée à RTL. Mais je n'en connais rien d'autre. Mauroy, qui respecte la présidente sortante, Jacqueline Baudrier, et hésitait à la débarquer de la radio, ne m'en avait pas parlé avant qu'il ne lui trouve une sortie convenable. Aujourd'hui, Jacqueline Baudrier est ambassadeur à l'Unesco. Pierre Mauroy m'appelle donc à Beauvallon où je passe mes vacances. Elles seront
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