Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
souriant ; Anicet Le Pors, le plus à l'aise 43 . Il fallait encore les voir affronter, toujours groupés, photographes et caméras dans la cour de l'Élysée !
Tous les autres ministres sont verts de rage : on ne parle pas – ou à peine – d'eux !
En fin d'après-midi, je suis dans la cour du Sénat lorsque je croise Jean-François Deniau, venu assister à une cérémonie de remise de Légion d'honneur. Je le trouve dans un état de fureur noire contre la gauche et le gouvernement « socialo-communiste » : « Je suis entré en résistance, me dit-il, et, croyez-moi, je ne suis pas tout seul ! »
Sa vigueur me surprend : je le croyais le plus « à gauche » des giscardiens... Cela ne suffit manifestement pas à lui faire accepter des communistes au gouvernement.
26 juin
Le premier déplacement de Mitterrand président a lieu à Dun-les-Places, dans le Morvan. Il est 11 h 45 lorsqu'il dépose, sous une pluie battante, une couronne au monument aux morts où il y a exactement trente-sept ans, le 26 juin 1944, 27 maquisards et résistants tombaient sous les balles allemandes. Ironie du sort : ces 27 sont morts dix-neuf jours après que les forces alliées eurent débarqué en Normandie. Le massacre de Dun-les-Places fut, comme celui d'Oradour-sur-Glane, le fait de troupes ennemies remontant vers le nord dans une retraite précipitée.
Précédé par les enfants des écoles, Mitterrand remonte ensuite vers les tombes des victimes : il connaît le chemin, Dun-les-Places est dans sa circonscription, ou plus exactement dans son ancienne circonscription. Tous les ans, depuis la Libération, jeune député puis ministre, puis chef de l'opposition, enfin comme président de la République, il s'incline devant les mêmes dalles, dans le petit cimetière au sommet de la colline qui domine le village.
Cette fois, notable différence, le préfet est là. Et aussi, témoignage d'unité nationale, bien rare en ces moments, le candidat RPR qui s'est présenté les 14 et 21 juin dernier. Lorsque celui-ci, fair-play, le salue, Mitterrand lui conseille gentiment de changer de circonscription la prochaine fois !
Puis, dans la maison du directeur du Parc national du Morvan où il a dû s'abriter de la pluie battante, il parle pour la première fois, depuis qu'il a été élu, des ministres communistes. Je prends des notes à toute allure :
« J'ai défini une politique, dit-il, et je prendrai avec moi tous ceux qui l'ont votée. J'ai la majorité de cette politique. Tous ceux qui l'ont acceptée, je les accepte sans céder aux phantasmes historiques. Tous ceux qui m'ont soutenu sont des Français comme les autres. »
« Leur parti – poursuit-il en parlant des ministres communistes – n'a pas les mêmes objectifs que les miens. Que m'importe à partir du moment où ils font ma politique. Moi, je veux faire l'histoire en marchant, pas en restant figé sur des données historiques anciennes. »
À l'intention de ceux qui ne veulent justement pas marcher derrière lui, il a cette phrase : « Leur réaction à la présence des ministres communistes, c'est leur affaire. Ma décision, c'est la mienne. Entre les deux, chacun pour soi ! »
Et puis aussi celle-ci à destination des Américains dont il ne cache pas à son auditoire qu'ils sont plus qu'hostiles à l'entrée des communistes au gouvernement : « Je les comprends, les Américains ; je voudrais qu'ils me comprennent aussi bien que je les comprends ! »
Enfin, en présence des journalistes qui l'écoutent, Mitterrand ne résiste pas au plaisir de raconter – ce que je ne l'avais jamais entendu faire auparavant – la scène « dramatique », dit-il, du Conseil des ministres de 1947 où Paul Ramadier, président du Conseil socialiste, demanda aux quatre ministres communistes de donner leur démission. Ceux-ci avaient voté à l'Assemblée nationale, la veille, contre leur propre gouvernement. Georges Marrane, le cinquième d'entre eux, n'avait pas voté, lui, la censure contre le gouvernement. Il ne fut pas « démissionné » ce jour-là, mais partit le lendemain.
« Eh bien, nous dit Mitterrand à la fin de son récit, vous voyez : la boucle est bouclée ! »
27 juin
Jacques Delors, que j'ai interviewé aujourd'hui sur RTL, parle de « troisième tour économique ». Je lui demande ce que cela veut dire. Il parle, me dit-il, de tous ceux qui, ayant subi la première victoire de Mitterrand à la
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