Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
présidentielle, le 10 mai dernier, puis la seconde victoire, législative celle-ci, de la gauche, le 21 juin, espèrent aujourd'hui la faillite économique du nouveau régime socialiste. De qui s'agit-il ? De quelques patrons, me dit-il, de certains hommes politiques, ou encore d'économistes qui spéculent sur la baisse du franc. À tous ceux-là Delors démontre que la clef de voûte de la V e République est le Président, que l'Assemblée n'a pas les moyens de voter contre lui une motion de censure, qu'il n'y a pas aujourd'hui de crise politique possible. Conclusion de Delors : inutile de jouer la politique du pire, Mitterrand est là pour sept ans.
Ce n'est pas du tout ce que pensent certains, comme Deniau, qui sont « entrés en résistance » et espèrent ne pas y rester longtemps.
1 er juillet
Après Dun-les-Places, Mitterrand s'exprime une seconde fois. Dans une interview fleuve, il annonce qu'il est favorable, pour ce qui concerne le mandat du président de la République, à un mandat non renouvelable de sept ans, et qu'il compte agir dans ce sens en proposant sur ce point une réforme constitutionnelle. Il expose ensuite l'agenda qu'il s'est fixé : en juillet, amnistie et loi de décentralisation ; à l'automne, statut de l'audiovisuel et calendrier des nationalisations dont le rythme dépendra de l'Assemblée nationale. Demain, il adressera un message au Parlement, et le Premier ministre prononcera son discours-programme le 7 juillet. Lui-même n'apparaîtra pas à la télévision avant la mi-juillet.
Pour finir, cette conclusion : « Les institutions n'étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi ! »
Comme il n'a pas oublié ce qu'il a écrit sur la Constitution gaulliste de la V e République, il ajoute qu'elles ont tout de même, ces institutions, quelques « petits défauts » : « Je crois bien, plaisante-t-il, avoir écrit quelque chose là-dessus 44 . » Trop faible rôle du Parlement, poids excessif du Président ? « J'exercerai, promet-il, dans leur plénitude les pouvoirs que me confie la Constitution, ni plus, ni moins. »
2 juillet
Pour une rentrée parlementaire, ce fut une rentrée !
Le doyen de l'Assemblée nationale, Marcel Dassault, en jaquette, prononce, comme il convient, le discours d'ouverture de la session. Il paraît assez décontracté – beaucoup plus, en tout cas, que beaucoup de grands patrons que je connais. On dirait un vieux surveillant général de collège mettant en garde à sa façon, courtoise, finaude, acide, les jeunes classes à peine sorties du certificat d'études. Il s'adresse à des potaches mal assurés, qui, tout à l'heure, ont cherché la porte d'entrée de l'hémicycle dans lequel ils n'avaient jamais pénétré, et qui, pendant que leur aîné parle, se sont installés de guingois à leurs étroits pupitres de parlementaires. Et il feint de ne pas voir que Raymond Barre, à sa place, s'irrite lorsque l'orateur profite de la situation que lui vaut son grand âge pour dénoncer malignement les erreurs commises par le gouvernement précédent.
« Puisque le chômage est toujours à l'ordre du jour, je vais vous parler du chômage », dit Dassault, visiblement ravi d'occuper, ne serait-ce que pour quelques instants, le « perchoir », la place du président de l'Assemblée nationale. Le temps de dire qu'il voudrait que le pays sorte de la crise mondiale en ayant supprimé le chômage, Dassault tire au sort les noms des scrutateurs chargés de veiller à l'élection du président, et ceux de leurs suppléants, dont Raymond Barre, précisément, réélu dans le Rhône 45 . Enfin on passe au vote et il ouvre le scrutin.
Sans surprise, Louis Mermaz est élu au « perchoir » par 295 voix contre 149. Le nouveau président prend la parole en célébrant un « tournant décisif dans l'histoire de notre pays ». Il promet « une grande politique de réformes de structures, qui marquera incontestablement une rupture avec l'ordre ancien ». Après s'être efforcé de rassurer les députés de l'opposition sur leurs prérogatives, et avoir préparé l'assistance à la « tâche immense qui l'attend », il précise qu'il aura à cœur de diriger les débats « avec impartialité ».
Curieux, ce Louis Mermaz qui appartient depuis toujours au premier cercle des amis de Mitterrand. Derrière son visage qui n'est pas des plus riants, il est en réalité plein d'un humour acide qui s'exerce
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