Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
qui cède tout de suite, les malabars n'ayant même pas tenté la moindre résistance.
Nous les avons finalement raccompagnés à la porte d'entrée où ils nous ont dit au revoir très civilement, sans doute ravis d'aller pouvoir dire à leurs camarades de combat antillais comment ils nous avaient séquestrés.
Bref, aujourd'hui, on s'est bien amusés !
13 avril
À nouveau les difficultés. À nouveau dans la bibliothèque de l'Élysée où Mitterrand nous reçoit, Guimard, Paillet, Fillioud et moi. Il nous répète que la seule chance que la majorité ait de gagner les législatives de 1986 passe par l'information. Autrement dit, c'est nous qui sommes en train de faire perdre la gauche ! Et Pierre Desgraupes surtout, avec Antenne 2.
Combien de mois tiendrai-je ? Et quelle angoisse à l'idée de la France qui sortira de cette période. Angoisse sur ce que je dois faire, sur la conduite à tenir, sur ce que Mitterrand attend de moi, de nous.
Jack Lang a dit l'autre jour à Jérôme Clément, qui me le répète : « Quand je pense que Mitterrand s'appuie sur Michèle Cotta et la Haute Autorité ! Ce n'est pas sérieux ! Elle n'est pas une amie politique ! »
Il n'a pas tort, en réalité. Je ne suis pas une amie qu'on peut dire vraiment politique. C'est mieux, mais c'est moins sûr.
Bref, aujourd'hui, je suis effectivement persuadée que, tôt ou tard, je serai amenée à la rupture avec Mitterrand. Avec lui que je connais depuis près de vingt ans, dont j'ai suivi instant après instant les chutes et les ascensions. Je suis convaincue que l'information n'est pas domesticable dans nos pays, et d'ailleurs que les journalistes ne sont pas tous des adversaires du pouvoir en place, loin de là !
Si on a créé une autorité indépendante pour imposer la loi du pouvoir à la presse audiovisuelle, on a eu tort, voilà tout. À aucun moment la Haute Autorité n'a dans ses prérogatives la déontologie des journalistes. Nous pouvons intervenir lorsque tel ou tel acteur de la vie publique nous saisit à propos d'un déséquilibre, ou parce qu'il a été injustement traité, comme nous l'avons fait il y a quelque temps pour Jacques Chirac. C'est sans doute ce qui fait dire à Jack Lang que je ne suis pas une « amie politique » !
Dieu, quelle angoisse ! En deux ans, que de cartes gâchées !
Mais comment faire, partir ? Quelle raison invoquer ? Je n'éviterai pas les remous et serai la première à en payer le prix. Tout en risquant de susciter un vrai scandale politique, et de le faire, ce qui est encore plus lourd, contre ceux, ou plutôt contre celui qui m'a nommée.
Oui, ma vie professionnelle est bel et bien arrivée à son terme. Je ne vois pas, ce soir, comment je me remettrai de cette histoire.
Faudra-t-il tenir ? Faudra-t-il aller jusqu'à défier le pouvoir en disant : « Je suis inamovible pour six ans ; changez la loi, si vous voulez que je m'en aille » ?
Faudra-t-il démissionner pour raison de santé, ce qui ne sera crédible aux yeux de personne ?
Ou bien n'est-ce qu'une bourrasque qui sera retombée d'ici quelques jours ?
À ce stade, la vérité m'oblige à dire : 1) que les journalistes charrient parfois, oscillant entre platitude et provocation ; 2) que Mitterrand, à Latche, lorsqu'il m'a parlé de la Haute Autorité, ne m'a jamais proposé de les « mettre au pas », ce que j'aurais refusé instantanément, mais de « faire attention à l'information ».
16 avril
Je m'ouvre de mes angoisses à André Rousselet, qui, à certains égards, n'est pas loin de penser la même chose que moi, et d'émettre les mêmes interrogations sur le pouvoir.
Les législatives, pourtant encore lointaines, dominent toute la vie du personnel politique. C'en est presque pathétique. Elles auront lieu dans trois ans et la gauche parle déjà de les perdre, comme si c'était inéluctable. La politique est une descente en ski : des heures pour monter, quelques minutes seulement pour la descente.
20 avril
Il me reste tant de choses à découvrir, tant de gens à aimer, tout à apprendre !
Michel Glotz, qui, ce soir, s'est fait la tête de Karajan, m'a emmenée hier soir à la soirée où jouait Weissenberg. Puis nous avons dîné chez lui, sur les quais de Seine.
Ma vie bouge sans arrêt. C'est comme aux Galeries Lafayette : il s'y passe toujours quelque chose de différent.
23 avril
À quel point je parle peu, dans ce cahier, de Paul-Marie et de Danielle de la
Weitere Kostenlose Bücher