Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
tel qu'il m'est apparu aujourd'hui, pâle, bourré d'herpès. Il succombe devant moi à une brutale colère : « C'est une catastrophe, cette télévision ! C'est moi qui serai jugé par l'histoire, pas vous ! »
7 ou 8 juin
Tout déraille. La TV : un monde fou. La politique : tout foire. L'allocution du Président, ce soir, n'y change rien. Il est bon, sans plus. Peut-être n'ai-je pas suivi d'assez près ses propos. Mais, s'il avait été aussi convaincant que d'habitude, il me semble que je l'aurais davantage écouté.
Sans doute en suis-je arrivée au niveau du principe de Peter : ces interventions multiples, ces pressions constantes émanant de chacun et de tout le monde, sauf de Mauroy, je trouve tout cela, comment le cacher, très éprouvant, difficile à supporter nerveusement. Mon trouble est partagé par beaucoup de gens autour de moi : fatigue, désarroi de Jacques Léauté 7 qui regarde s'effondrer toute la réforme pénale qu'il met au point depuis de longs mois et qui ne verra pas le jour, parce que les temps ne le permettent pas. Doute des ministres eux-mêmes sur la cohésion gouvernementale.
Quand je dis doute, je minimise les choses. Il faudrait écrire : certitude que rien ne va.
Dans cette mauvaise phase, on ne me parle que de problèmes subsidiaires. La télé, en fait, serait responsable de tout : de la déprime française, de la remontée de l'opposition, de je ne sais quoi encore.
11 juin
Déjeuner avec Robert Badinter, avant-hier. Peut-être est-il trop sévère (sûrement, même) dans l'appréciation qu'il porte sur la police – et sur le ministre de l'Intérieur 8 . Il me raconte, et avec quels accents, que les flics hurlent son nom dans tous les commissariats. Qu'il est celui qui, à leurs yeux, donne aux délinquants les meilleurs moyens d'échapper à un jugement équitable. « Du coup, dit-il, je suis devenu l'homme le plus détesté des flics ! »
Il me confie comment il n'a été prévenu qu'au tout dernier moment du siège de la Chancellerie ; comment il a vu les flics chargés d'assurer sa surveillance soulever leur casquette lorsque leurs collègues fonçaient contre le ministère.
Je sens, à l'écouter, cette peur que je partage : la montée de la haine, de l'injustice dans une société que nous voulions sereine, humaine et apaisée.
Mitterrand, paraît-il, est torturé par cet antagonisme d'une force inouïe entre la Police et la Justice. Après les municipales, m'assure Badinter, il a demandé au Président de se débarrasser à la fois de Defferre et de lui : « Licenciez-nous tous les deux, et vous n'aurez plus à redouter l'antagonisme entre Police et Justice. Il ne sera plus question que l'un des deux remporte une victoire sur l'autre ! »
Mitterrand ne l'a pas fait. Résistance au changement ?
Impression que la confiance politique échappe au gouvernement et que le double départ de Defferre et de Badinter accroîtrait le malaise au lieu d'y mettre fin ?
Déjeuner aujourd'hui avec Raymond Barre au siège de la Haute Autorité, aujourd'hui, puisque nous avons décidé de recevoir tous les leaders de l'opposition ou de la majorité. Avec un tact inouï, inconnu de moi, il parle de l'institution, la nôtre, qu'il trouve intéressante, et qui, selon lui, va dans le bon sens. Il compare notre cénacle de neuf membres à la Commission européenne, qu'il connaît bien : même volonté de trouver la solution équitable, même volonté d'additionner des énergies pour aller dans la même direction.
Lettre de Michel Debré, le 12 juin : « Le pouvoir se liquéfie, mais l'opposition ne se solidifie pas pour autant... »
15 juin
Entourée des membres de la Haute Autorité au grand complet, nous avons donc convoqué Michel May pour tenter de savoir où il conduisait TF1 et quelles étaient ses perspectives pour la chaîne.
Dieu sait que Michel May n'est pas un homme dont j'aimerais a priori m'entourer. Mais son procès ressemble, nous ressemblons à des juges du procès de Moscou. Sans doute n'a-t-il pas réussi. Il a trouvé TF1 en mauvais état financier, sans beaucoup de stocks. Et il patauge, indécis sur les mesures à prendre.
Ce qu'il nous dit aujourd'hui frise le catastrophisme. Les journalistes ne sont pas « transparence et loyauté montées sur pattes » (j'ai noté les mots avec soin), la restructuration proposée n'a pas été suivie d'effet, les stocks de fictions se sont effondrés. Et ce ne sont pas les
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