Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
m'avait fait le reproche d'avoir engagé comme premier chef invité à Radio France sous prétexte qu'il n'était pas français... Comme si la musique l'était ! Passons – c'est :
– la rigueur alliée à la passion : bon Dieu, c'est possible ! Chacun croit que Maazel est un chef d'orchestre froid, sans âme. C'est, au contraire, un passionné qui s'est raisonné ;
– la musique liée à la mathématique : il connaît la balance entre les chiffres et les notes ;
– le travail, la sévérité, le souci de l'autre. Encore, dit-il, qu'il a souvent tendance à ne pas être assez exigeant pour lui-même, parce qu'il est optimiste et croit en sa chance. Il dit aussi que le souci de l'autre, qu'il ne ressentait pas lorsqu'il n'était qu'artiste, il l'a aujourd'hui. C'est ce qui l'a fait passer du rang de chef d'orchestre international adulé à celui de directeur de théâtre.
Nous parlons de Karajan. Il ne l'aime guère, mais ne rêve que de lui succéder, tout en sachant que Karajan ne fera rien pour l'aider. Comme tous les hommes politiques qui ne pensent qu'à l'élection présidentielle, lui, Maazel, ne pense en effet qu'à prendre la suite de Karajan.
Soir. Le remaniement est très mal accueilli. Après les quinze jours qu'ont duré les allers-retours entre l'Élysée et Matignon, on attendait un gouvernement restreint et restructuré. Au bout du compte, après tant de palabres, le gouvernement compte 42 ministres ou secrétaires d'État au lieu de 43. Tempête dans un verre d'eau.
6 avril
Première crise avec Mitterrand. J'écris ces quelques mots tard dans la nuit avant que le sommeil ne me terrasse.
Mécontent de l'information télévisée, mécontent de tout, y compris de la loi Fillioud, il m'appelle, jeudi, pour stigmatiser la façon dont TF1 présente les mesures prises par Jacques Delors. Son ton aigre, sa violence (il me redit deux fois au cours de cette conversation téléphonique : « C'est une question de vie ou de mort ! ») montrent à quel point il en veut à tout le monde, de Georges Fillioud aux présidents de chaînes, quels qu'ils soient.
Il envisage donc de changer la loi. Dans le sens d'un accroissement des pouvoirs de la Haute Autorité ? C'est en tout cas ce que me disent Paul Guimard, qui l'a vu au cours du dernier week-end, et Georges Fillioud, qui me demande ce que j'en pense.
Cet accroissement des pouvoirs, je le voulais en octobre dernier. J'estimais nécessaire, par exemple, que la Haute Autorité, qui nomme les présidents de chaînes, ait un droit de regard sur leurs finances. Aujourd'hui, les choses sont différentes : je ne réclame pas davantage de compétences. La Haute Autorité est conçue comme un organe indépendant du pouvoir. Elle n'est pas conçue, elle ne peut l'être, comme un instrument de remise en ordre. Une extension de ses pouvoirs ne réglerait pas le seul problème qui, en réalité, intéresse le Président : l'information.
Rendez-vous aujourd'hui avec lui. Je n'en ai pas fait part à tous les membres de la Haute Autorité : seuls Guimard et Paillet sont au courant de cette simili-convocation. Sans oublier Georges Fillioud auquel Mitterrand n'en avait évidemment pas parlé et que j'ai tenu, moi, à prévenir pour qu'il ne croie pas à un coup fourré.
Dans la bibliothèque de l'Élysée où m'ont emmenée les huissiers, j'ai entamé, en l'attendant, la lecture de Hernani en édition de luxe, rangé sur une des étagères. Je compte plaider ma thèse à contre-emploi, si l'on peut dire. Il veut me donner des pouvoirs dont je ne veux pas et que je sais ne pas pouvoir exercer.
Je m'aperçois tout de suite qu'il est de meilleure humeur qu'au téléphone ces derniers jours. Il m'écoute lui dire que personne, aucune institution, encore moins si elle est indépendante, aucun ministre de la Communication ne peut dicter aux journalistes leur déontologie. Il comprend : aussi bien ne sont-ce pas les journalistes qu'il faut changer, ce sont les présidents de chaînes !
Je ne le montre pas, mais je suis atterrée : ces présidents, nous venons de les nommer. Je ne sais même pas comment on pourrait les révoquer, ou même tout simplement les « démissionner ». Je choisis de gagner du temps, espérant que la divine colère va s'apaiser, les jours passant.
Il n'est pas content de Michel May, la Haute Autorité non plus, mais pas pour les mêmes raisons que lui : Michel May, que nous avions nommé parce qu'il connaissait
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