Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Gorce, pourtant mes compagnons de tous les jours, sans qui je ne serais pas ce que je suis, je ne ferais pas ce que je fais. Qui m'accompagnent, m'écoutent, me rassurent, m'avertissent lorsque je fais fausse route.
C'est sans doute qu'ils me quittent peu et que l'on a davantage tendance à moins parler de nos repères quotidiens, immuables, que des météorites qui traversent notre vie.
Pourtant, le Hitler de Paul-Marie fait un véritable boom en librairie. Tant mieux. Sans doute est-il, avec La France pauvre , le plus rigoureux de ses livres. Le mieux construit, aussi. Sa IV e République , son De Gaulle entre deux mondes étaient de ce point de vue plus touffus, presque trop riches. Mais ce livre-là est bien tombé : il lui a redonné confiance dans ses talents d'historien du temps présent.
MIP-TV à Cannes. Je n'y fais pas grand-chose, hormis rigoler avec Paul Guimard. Curieux sentiments que ceux que j'éprouve pour lui : formidable attirance, défiance instinctive et maîtrisée, bonheur de faire avec lui ce bout de chemin à la Haute Autorité. Mais Dieu qu'il n'a pas l'air joyeux lorsqu'il ne se surveille pas ! Lorsqu'il ne plaisante pas, lorsqu'il ne fait pas un de ces bons mots qui font rire ses amis, il arbore même parfois une sorte de cruauté sur le visage. Le contraire du personnage dont il veut se donner l'apparence. Cet écrivain qui se veut autodidacte et le fait savoir n'est pas seulement l'homme exquis, courtois, amusant que ses amis décrivent. « Ah, tu as dit un jour à Paul qu'il avait l'air cruel ? m'a dit il y a peu Benoîte Groult, sa femme. Je croyais être la seule à m'en être aperçue ! »
30 avril
En dehors du MIP-TV où je ne suis pas restée longtemps, la semaine est occupée par ce que nous appelons entre nous l'« affaire Gallo ». Je connais bien Max Gallo, écrivain, député socialiste de Nice et actuellement porte-parole de l'Élysée. Un des hommes les plus proches, dit-on, de Mitterrand. Ce n'est pas une raison pour qu'on lui offre quatre fois – je dis bien quatre –, pendant le mois d'avril, l'antenne de TF1 pour qu'il s'adresse aux Français 5 . S'il avait parlé de littérature, passe encore. Mais non, il a répondu la plupart du temps à des questions politiques sans se rendre compte que les interventions gouvernementales sont comptabilisées, et qu'à ce titre, l'opposition peut demander un temps d'antenne compensatoire 6 .
Ce qui est fait par une lettre que nous envoie un jeune loup RPR, président du conseil général de Savoie, Michel Barnier, qui demande évidemment un droit de réponse pour l'ensemble de l'opposition.
Je m'arrête à cette histoire parce qu'elle me semble significative. Max Gallo ne peut pas ne pas savoir que nous ne sommes pas dans un système africain, que le porte-parole du souverain ne peut pas s'exprimer indéfiniment sur la première chaîne de service public sans qu'un droit de réponse soit accordé à l'opposition. Il sait bien, aussi, que si la Haute Autorité existe, c'est précisément pour empêcher que le pouvoir s'empare des antennes du service public comme si elles lui appartenaient.
Eh bien, il sait tout cela, mais semble s'en foutre complètement : il pense pouvoir biaiser parce que l'émission est une émission en principe non politique et qu'elle est diffusée durant l'après-midi.
Je passe ici sur l'agitation créée par cette affaire dont je sais déjà qu'elle me sera reprochée par l'Élysée. Le président de TF1 nous dit qu'il compte proposer quatre émissions identiques à l'opposition. Nous l'approuvons. Mais ne voilà-t-il pas qu'il va dire à Gallo, lorsque celui-ci tempête, refusant le droit de réponse de l'opposition, que ce n'est pas de sa faute, qu'il s'agit d'un oukase de la Haute Autorité !
Les hommes sont faibles, et celui-là particulièrement.
Naturellement, la tempête s'apaise : l'opposition passe à l'antenne. Beaucoup de bruit pour rien. Et la démonstration est faite que, lorsque quelque chose ne va pas, c'est notre faute. Et qu'à l'inverse, lorsque rien ne fait problème, c'est que nous n'y sommes pour rien.
1 er mai
Michel Debré, que je vois dimanche après-midi, soupire : « Moi, me dit-il, si j'étais aux affaires aujourd'hui, trois choses m'empêcheraient de dormir. D'abord, la politique industrielle ; ensuite, la politique en matière d'éducation nationale ; ensuite, la dénatalité dramatique de ce pays... »
22 mai
Je revois encore Mitterrand
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