Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
200 millions d'économies nécessaires que Michel May a décidées qui lui auront permis de les reconstituer.
C'est alors que Paul Guimard a posé doucereusement une question en apparence anodine :
« Maîtrisez-vous TF1 ? » lui a-t-il demandé.
Sur cette question, le pauvre Michel May a trébuché. Il a répondu qu'à son avis, TF1 n'était pas redressable !
Il est sorti et m'a envoyé sa lettre de démission.
Qu'allons-nous faire de TF1 ?
Derrière cette interrogation, ne sommes-nous pas en train, en réalité, de faire tomber une tête, en l'occurrence celle de May, pour éviter de faire ce qu'on me demande presque quotidiennement : me débarrasser de Desgraupes qui continue à déplaire en haut lieu ?
Je ne toucherai pas à Pierre Desgraupes. C'est sûr. Je le dis. Je n'y toucherai pas, même si je dois, pour ce faire, partir avant lui.
Je le dis en me foutant de tout le reste.
Pourquoi ? Parce qu'il est devenu, depuis 1972 surtout mais déjà bien avant, lorsqu'il n'était qu'un des trois Pierre de « Cinq colonnes à la une », une sorte de symbole. Un modèle pour les journalistes de ma génération qui ont passé leur jeunesse à attendre, le premier vendredi du mois, de 1959 à 1968, les reportages du premier magazine télévisé digne de ce nom.
Je ne cite même pas toutes ses autres émissions, ses interviews remarquables d'écrivains ou de médecins. Ni surtout sa manière bourrue, dynamique et professionnelle, de diriger l'information télévisée. La façon dont il est tombé la première fois en 1972, ou plutôt celle dont Jacques Chaban-Delmas a été flingué par l'Élysée, en partie à cause de la liberté de ton de l'information que Desgraupes donnait alors à TF1, lui a conféré un véritable brevet d'indépendance. Il n'y a pas un professionnel en France qui comprendrait aujourd'hui, sans s'insurger, son départ d'Antenne 2.
Inventer quelque chose pour faire partir Desgraupes et donner satisfaction à ceux qu'il irrite, dont le président de la République, serait signer mon arrêt de mort et celui de la Haute Autorité avec moi.
« Je ne peux vous donner de conseil, me disait Michel Debré hier, car je connais mal les personnes auxquelles vous avez affaire. La seule chose que je puis vous dire, c'est que vous devez veiller à l'essentiel : votre responsabilité vis-à-vis de vous-même. »
Mais quelle dureté, tout de même, quel monde, et quelles petitesses !
Après cette entrevue poignante – je devrais plutôt parler de comparution – avec le pauvre Michel May, tellement en dessous de sa tâche, après avoir lu la lettre de démission qu'il m'a adressée, je me dis que j'ai trahi les promesses de mes vingt ans.
À peine après avoir écrit cela, et au moment même où je l'écris, je me dis que ce n'est pas vrai. Que May est si inférieur à l'enjeu, que, pressions ou pas, il ne vaut pas en tout état de cause la peine qu'on le sauve.
Mais soyons franche : je sais que je n'ai agi dans cette affaire que pour sauver Desgraupes. Tant qu'à donner une tête, je préfère donner celle de May – même si c'est moi qui ai beaucoup fait, auprès de mes collègues de la Haute Autorité, pour le nommer il y a seulement quelques mois. Cela s'appelle un compromis (ou une compromission ?).
16 juin
Au fond, je rêve d'une France dont Mitterrand serait le président, d'où Michel Debré ne serait pas exclu, où Michel Rocard aurait son mot à dire, d'un gouvernement dont Chirac et Mauroy seraient ministres d'État, où Laurent Fabius, Jean-Pierre Chevènement, Albin Chalandon seraient ensemble aux Finances, où Jacques Delors, Soubie, Chaban seraient conjointement aux Affaires sociales, Marie-France Garaud et Maurice Faure en charge de la politique étrangère, Roland Leroy [ou Ralite ?] à la Culture, Fiterman à l'Aménagement du territoire, Claude Estier aux relations avec le Parlement avec Jacques Toubon à ses côtés.
Je rêve.
Mais la France ne rêve pas. Elle a bien tort.
18 juillet
Longue interruption dans ce cahier due à mon déménagement, et surtout au départ de Michel May, remplacé par Hervé Bourges le 14 juillet.
Je reviens donc en arrière. Lorsque, à Radio France, j'ai demandé à Hervé Bourges de venir travailler à Radio France Internationale, je n'avais, dans l'innocence des débuts et sans doute la méconnaissance des usages, pas prévenu Claude Cheysson. Le ministère des Affaires étrangères finançant largement Radio
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