Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
de passer. Objectif : une nouvelle fois, la succession de Pierre Desgraupes ! Pourquoi ? Parce qu'une nouvelle loi, votée opportunément pendant l'été, l'oblige cette fois expressément, sinon nominativement, au départ 11 . Personne ne pourra l'empêcher. Le bout de la route, pour lui, est à 66 ans.
Rien voulu écrire pour – réflexe inouï chez quelqu'un qui rédige son journal tous les jours depuis l'âge de 15 ans ! – ne pas retenir dans ma mémoire écrite ces moments si peu glorieux.
Quelques éléments, pourtant, qui plus tard, sans me faire trop de mal, me rappelleront cette douloureuse affaire.
Le 13 septembre, d'un commun accord, nous avons décidé, à la Haute Autorité, de nous pencher sur le problème de la nomination du successeur de Desgraupes. En prenant notre temps, puisque son départ ne devait prendre effet qu'en novembre, c'est-à-dire, conformément aux termes de la loi, deux mois après la publication de la loi au Journal officiel . En tout état de cause, le président que nous allions nommer ne serait désigné que pour neuf mois, c'est-à-dire jusqu'en octobre 1985, terme initial du mandat du président en place d'Antenne 2. Mais aussi, malheureusement pour la période des législatives, ce qui n'échappe pas aux trois membres de la Haute Autorité nommés par l'opposition.
Nous échangeons donc des noms, parmi lesquels des professionnels comme Claude Santelli, Jean-Marie Drot, Joseph Pasteur (le lieutenant, l'alter ego de Pierre Desgraupes depuis des années) ; des personnalités extérieures à l'audiovisuel comme Georges Kiejman ou Jean-Denis Bredin. Pierre Desgraupes lui-même, de mauvaise humeur, digne pourtant, propose les noms de Christian Dutoit qui, sur Antenne 2, tient en main les clefs de la production, ou de Janine Langlois, alors directeur général de la SFP. Dans ces deux cas, la succession se passerait en douceur : il est évident que, dans le cas contraire, les choses seront plus difficiles, et le président désigné, moins bien accueilli. D'autant plus que Jean-Claude Héberlé, soutenu à grand renfort de trompettes par Matignon, est déjà présenté à Antenne 2 et dans toute la presse comme le candidat du pouvoir.
Je choisis donc pour ma part de proposer Janine Langlois au vote des neuf. Elle connaît mieux que bien l'audiovisuel public, elle maîtrise la production, elle a des idées en matière de programme. Elle est reconnue et estimée. Surtout, elle n'est pas politique : elle s'est rapprochée de la gauche depuis trois ans, mais n'est pas inféodée au PS. Professionnelle, elle est souhaitée par Desgraupes lui-même.
Je rencontre le président de la République dans le courant du mois d'octobre. Je lui rapporte ma conversation désagréable du mois d'août avec Laurent Fabius et lui dis que je ne voterai en aucun cas pour Jean-Claude Héberlé, journaliste estimable mais piètre animateur de groupe. Je le jure : le Président se contente de me dire que la candidate que je soutiens n'est « pas un mauvais choix ».
Il ne me dit rien d'autre, ne me recommande personne. Termine la conversation par cette phrase, une fois de plus sibylline : « Je vous ai donné les moyens de me résister. »
La suite à demain.
Je m'aperçois que je suis intarissable sur ce dont je ne voulais pas parler...
4 octobre
Je reprends le récit de ces derniers jours. Il est évident que, sans que ce soit de mon fait, les chances d'Héberlé progressent du côté des membres de la Haute Autorité nommés par le président de la République et celui de l'Assemblée nationale. Je me dis que si Mitterrand ne m'a rien imposé, il a – lui ou d'autres – peut-être convaincu, sans me le dire, certains de ses proches.
À un moment donné de nos discussions, alors que je ne parviens pas à convaincre mes collègues du choix de Janine Langlois, une majorité d'entre nous, alors que l'heure est tardive, tombe d'accord sur le nom de Jean-Marie Drot, homme de culture, réalisateur d'inoubliables émissions sur André Malraux, connu pour ses opinions de gauche sans être le moins du monde un fanatique.
Cette solution me paraît être celle du salut, puisqu'elle met d'accord une partie de ceux qui annoncent depuis le début qu'ils veulent voter pour Héberlé, ainsi que ceux qui envisageaient d'autres solutions 12 .
J'appelle sans tarder dans la nuit Jean-Marie Drot qui, nommé en 1982 attaché audiovisuel en Grèce, se trouve être de passage à Paris.
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