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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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Conversation à demi-mot (j'ai peur des écoutes) dans laquelle chacun se comprend très bien. Je dis à Jean-Marie Drot que la Haute Autorité souhaiterait le désigner comme patron d'Antenne 2. Il n'est pas chaud, parce qu'il pressent que ce ne sera pas une partie de plaisir. Il me demande si tout le monde est d'accord sur son nom ; je lui réponds honnêtement qu'un autre candidat aurait manifestement les faveurs de l'Élysée et de Matignon. Il me dit qu'il va réfléchir, car il ne se sent pas homme à se battre sur tous les fronts : il a des tas d'idées sur la chaîne, mais de là à devoir affronter tout le monde, Mitterrand, Fabius, c'est une autre paire de manches ! Je le sens faiblir et n'insiste pas outre mesure : difficile de demander à quelqu'un de prendre des risques qu'on ne prend pas soi-même. Je comprends ses réticences.
    À 8 heures du matin, il me rappelle : c'est non. Dans la matinée, il me fait porter la lettre ci-après, datée du 1 er  octobre :
    « Ma chère Michèle, je pars pour la Grèce. Soulagé de t'avoir peut-être évité le pire. Soulagé mais honteux d'avoir vu de près l'affreux visage du pouvoir. Je t'embrasse. À bientôt 13 . »
    Arrive le vote. Je suis battue à plates coutures par la Haute Autorité, membres de l'opposition et membres de la majorité confondus : Héberlé obtient au premier tour quatre voix, le réalisateur Pierre Badel en obtient trois. Avec mon unique voix sur Janine Langlois, je fais pâle figure. Au deuxième tour, je m'abstiens. Héberlé obtient 5 voix : assez pour être élu.
    Parmi les raisons de mon geste, il y a bien sûr la volonté de montrer que je crois qu'une instance indépendante a tout bonnement mission de le rester. Même si j'ai eu peu de temps pour y réfléchir, je voulais aussi – peut-être une fois encore était-ce de la naïveté ? – préserver une chance d'unité au sein de la Haute Autorité. Deux candidats seulement restaient en présence. Si je m'étais ralliée à l'un d'eux – encore qu'il eût été un peu tard pour le faire ! –, j'aurais dressé un camp contre un autre, et je suis convaincue que les trois membres nommés par l'opposition auraient eu beau jeu de faire sécession. Ce qui me paraissait marquer la fin et surtout l'échec de l'expérience, donc du mandat qu'on m'avait confié.
    Le problème est que le vote devait rester secret ; or il ne l'a pas été. Quelques minutes seulement après le scrutin, l'AFP publie une dépêche annonçant que j'ai refusé de voter Héberlé.
    Il se trouve que le lendemain, je suis invitée à l'Élysée au dîner officiel donné en l'honneur d'Omar Bongo. Je croise Chaban-Delmas, toujours intéressé par ce qui se passe dans l'audiovisuel, particulièrement lorsqu'il s'agit de Pierre Desgraupes qu'il est le premier à avoir mis en place.
    « Ma petite, me dit-il de sa voix toujours nasale, on vous a fait une saloperie. La prochaine fois, foutez le camp ! »

    13 octobre
    L'horreur absolue ! Comme je le prévoyais, la Haute Autorité se délite. De l'extérieur : le gouvernement, tous les ministres – sauf celui de la Communication, qui connaît Héberlé – triomphent bruyamment. De l'intérieur : chacun commente, les uns avec tristesse, les autres avec rage, les réactions à notre vote. La presse est unanime : la nomination d'Héberlé passe après le fait que j'ai refusé de voter pour lui. Une partie m'accuse d'avoir trahi Mitterrand, une autre me félicite de m'être élevée contre un choix qui n'était pas le mien, tout en ajoutant que, du coup, les jours de la Haute Autorité sont comptés.
    Ceux qui, dans l'opposition, me disent de m'accrocher me font bien rire. Ce sont parfois les mêmes – ou leurs amis – qui m'attaquent au Parlement.
    Ceux qui me disent de combattre en parlent à leur aise : combattre qui, comment ? Il me semble que j'en ai fait assez.

    15 octobre
    L'enfer continue : la nasse s'est refermée. Il y a Mitterrand que j'ai « trahi », disent d'aucuns. Il y a mes amis à la Haute Autorité qui m'en veulent d'avoir mis au jour ses faiblesses. Il y a Paul Guimard, malade de ce que la fidélité lui a fait faire. Il y a Marc Paillet, phraseur et brave type, qui vit, dit-il, « l'honneur perdu de Katarina Blum 14  ». Il y a Stéphane Hessel, toujours si optimiste, ébranlé cette fois par le tollé qui accueille la nomination d'Héberlé dont il ne pensait pas qu'elle serait aussi mal accueillie 15

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