Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
les premiers jours « À quoi bon donner la vie aux radios libres si vous la leur retirez aussitôt en ne les autorisant pas à collecter des recettes publicitaires ? » –, le gouvernement a répondu en allouant un fonds annuel à ces radios, sans revenir sur sa décision de leur fermer la publicité. Résultat : elles ont toutes empoché les fonds mis aimablement à leur disposition, et, en même temps, inventé une sorte de spots publicitaires qui n'en étaient pas, une publicité rédactionnelle en quelque sorte, mélangeant le contenu des émissions avec la réclame, bref, une publicité beaucoup plus malsaine que s'il s'agissait, comme sur Europe 1 ou RTL, de messages publicitaires encadrés par des jingles reconnaissables.
Bon. Le temps a passé. Il est arrivé que le gouvernement s'étonne de ne pas voir la Haute Autorité sévir contre ces pratiques. Ce que nous n'avons pas voulu faire, car c'était condamner à mort lesdites radios ! Nous avons donc dit, en langage ô combien diplomatique, que nous ouvrions une « période de tolérance », c'est-à-dire que nous ne prendrions pour l'heure aucune sanction contre les radios qui faisaient de la publicité sans le dire.
Et puis, lors d'un voyage en Amérique où Gonzague Saint-Bris, invité par François Mitterrand, lui a confié ses difficultés à faire vivre la radio libre dont il est le responsable, le président de la République, répondant publiquement à une de ses questions, a simplement lâché qu'il n'était « pas hostile à la publicité ».
Et voilà ! Il a suffi d'une petite conversation mondaine entre Mitterrand et Gonzague pour que, sans concertation aucune, ni avec Fillioud ni avec la Haute Autorité, le statut des radios privées change en cinq minutes. Si ce n'est pas le fait du Prince, cela !
Le plus drôle est, autant que je me souvienne – car la scène date déjà d'il y a plusieurs semaines –, que nous avons été, la veille de l'annonce de la déclaration présidentielle, invités, Fillioud et moi, par une dizaine de radios libres, qui nous avaient évidemment demandé notre avis sur cette sacrée publicité. J'avais répondu que j'y étais favorable. Entraîné par la solidarité gouvernementale, Fillioud avait dit – mollement, il est vrai – qu'il lui était hostile. Le lendemain, Mitterrand annonçait le changement de cap de l'exécutif.
8 août
Départ de Mauroy, départ des communistes, arrivée de Fabius, référendum. Tout se passe comme si ce que je vis, moi, au premier degré, quotidiennement, ne m'intéressait pas vraiment.
Ou plutôt pas seulement. Les cahiers que j'accumule parallèlement sur la Haute Autorité suffiraient à remplir des volumes ; je m'acharne pourtant à tenir cette chronique politique avec plus ou moins de difficulté, car je suis loin du « terrain ». Peut-être – ceci compense cela – suis-je cependant, de l'autre côté de la barricade, en train de découvrir d'autres aspects de ce personnel politique que je fréquentais depuis tant d'années comme journaliste.
De ces quelques semaines, que retenir d'autre que les conversations avec Pierre Mauroy, désœuvré, après son départ ? Il me raconte les dernières minutes qu'il a passées avec François Mitterrand après que celui-ci eut annoncé le retrait de la loi sur l'école et le nouveau référendum. L'émotion l'a envahi pendant qu'ils faisaient ensemble le dernier tour du jardin de l'Élysée.
« Que Dieu vous garde ! » a-t-il fini par dire à Mitterrand.
Étonnante phrase lorsqu'on pense qu'une des raisons de son départ est le retrait de la loi sur l'école privée...
Ce que j'écris ici ne tient pas compte de l'étonnante qualité humaine de Mauroy, sans amertume, sans haine, lucide et serein. Qualité d'un Premier ministre « démissionné » par Mitterrand et qui trouve néanmoins le moyen de lui dire, les larmes aux yeux : « Que Dieu vous garde ! »
Vu Fabius, le même jour. Notre première rencontre en tête à tête a donc lieu à Matignon, ce 8 août. Il m'accueille courtoisement. Il n'y a jamais eu aucun problème entre nous, je n'ai jamais écrit sur lui quelque chose qui lui déplaise particulièrement. Il est vrai que je ne lui ai pratiquement jamais consacré d'article.
En revanche, j'ai appris qu'il était, en 1981, fortement hostile à la création de la Haute Autorité. Chargé, au sein du Parti socialiste, des contacts avec les médias, il en a gardé le sentiment que
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