Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
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Gabriel de Broglie, qui a tout compris, parle dans les couloirs de déshonneur ou de quelque chose d'approchant, et publie une nouvelle déclaration dissidente. Jean Autin fait de même.
Moi, je suis au bord du départ.
Rien ne me retient plus ici, mais les choses ne sont pas si simples. Je me fiche de Laurent Fabius, je me fiche du pouvoir. Pourtant, je ne veux pas, par mon départ, mettre gravement en cause Mitterrand qui m'a nommée, et qui, d'ailleurs, en la circonstance, n'a pas exercé sur moi de pressions insupportables, même s'il m'a contournée.
En outre, comment dire – c'est bien cela le pire –, je me sens vaguement coupable : après tout, en me nommant, il m'avait demandé de « le protéger ». Eh bien, c'est réussi ! Il est vrai qu'il ne m'a pas beaucoup aidée à le faire...
En moi, au-delà de ce vague remords, la rage d'avoir vu détruire en quinze jours, avec quelle indifférence, quelle morgue, quel mépris, l'œuvre de deux ans et demi. L'œuvre ? À vrai dire, pas grand-chose. Mais qui était néanmoins compté comme une petite réussite.
Double langage, double volonté, vraie pagaille ou duplicité ? Qu'a été, dans cette affaire, Mitterrand ? Celui qui m'a dit : « Pas de veto », lorsque j'ai évoqué devant lui le nom de Janine Langlois ? Ou celui qui, juste auparavant, quand je lui parlais du conciliant Joseph Pasteur comme successeur de Desgraupes, m'avait menacée de changer la loi sur la Haute Autorité ?
Sans doute est-ce là la loi de tout pouvoir, et j'entends d'ici les bonnes âmes : « Non, mais qu'est-ce qu'elle croyait ! » Sans doute ai-je péché par présomption. Sans doute n'ai-je que ce que je mérite. C'est parce que j'avais voulu tout autre chose, et que je croyais possible de nommer des présidents de chaînes sans que le pouvoir y mette le nez.
Mais aussi – soyons sincère jusqu'au bout –, ce qui m'est insupportable, c'est cette condamnation de l'institution par l'ensemble de la presse, en même temps que cette incompréhension infranchissable qui s'installe entre les milieux politiques et les médias.
17 octobre
Au milieu de tout cela, première émission de Laurent Fabius sur TF1. Hurlements de l'opposition devant notre décision de faire répondre à Fabius par les quatre partis de l'opposition et de la majorité. On aboutit à une absurdité : le PS et le PC répondent à Fabius, Bernard Pons et Jean-Claude Gaudin refusent.
C'est bien la première fois que je vois des gens refuser d'intervenir à la télévision ! Bernard Pons me laisse aujourd'hui entendre au téléphone qu'il reviendra le mois prochain sur sa décision, qu'il voulait simplement, pour l'heure, montrer sa mauvaise humeur devant le « quart d'heure » du Premier ministre.
19 octobre
Les dégâts entre nous sont irréversibles. L'opposition les a accrus, en faisant une distinction entre la « bonne » Haute Autorité, celle de Gabriel de Broglie, et la « mauvaise », la mienne. Paul Guimard est désigné comme l'homme de main du Président, et moi comme une imbécile qui a essayé de s'opposer à l'inéluctable. Quant à la majorité, elle tombe sur moi qui n'ai pas su, pas pu maintenir le consensus. J'aurais voulu les y voir, ces cons !
8 novembre
Lettre magnifique de Jérôme Clément, qui vient de quitter, par force, le cabinet de Pierre Mauroy. Elle tombe à point nommé.
« En y réfléchissant, écrit-il, je vois dans cet épisode un recul temporaire, et qu'il faut surmonter. Que nous le voulions ou non, et surtout que F.M. et L.F. le veuillent ou pas, le train a été lancé en 1982. Il a pris de la vitesse depuis, et même s'il s'arrête un moment aujourd'hui, il repartira. Avec du recul, je suis convaincu aujourd'hui que l'on ne reviendra pas en arrière sur cette réforme qui est à l'honneur de la gauche...
« L'épisode d'aujourd'hui apparaîtra peut-être comme un des derniers sursauts, une dernière crispation. C'est pour cela qu'il faut continuer, sans faillir, car l'enjeu est d'importance et, d'une certaine façon, nous dépasse tous. J'ai toujours été convaincu qu'il faut aller vers plus de démocratie, plus d'indépendance, et que cela demande beaucoup de ténacité et de patience, y compris celle qui consiste à lutter parfois contre ses propres amis. Mais, au bout du compte, tout le monde y gagne. Un peu plus tard, c'est toi qui auras raison. Pour l'instant, il faut passer l'obstacle, redonner vie et force à tout
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