Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Président, en revanche, est resté intransigeant.
« Ne faites pas campagne sous la bannière du plan Barre, lui a dit Debré, vous perdriez. Dissociez la vie de la majorité du sort du plan Barre, sinon nous courons tous à la catastrophe ! »
« Une bûche, commente encore Michel Debré, une bûche ! Il ne veut rien entendre sur ce point. Il ne se rend compte de rien ! »
L'atmosphère entre les deux hommes était si tendue qu'en manière de conclusion, VGE a dit à Michel Debré : « S'il vous plaît, la seule chose que je vous demande, c'est de sourire aux photographes qui vous attendent dans la cour de l'Élysée à la sortie. »
Sourire : Michel Debré et Giscard vont avoir du mal à sourire dans les heures qui viennent ! Depuis avant-hier, nous avons eu connaissance, à la rédaction, des sondages IFOP que nous avions commandés il y a environ une dizaine de jours et qui vont être publiés après-demain. Ils sont catastrophiques pour la majorité, RPR et giscardiens confondus 45 .
5 décembre
Les choses sont allées plus vite que je ne croyais. Dès que les sondages ont été mis sous presse, c'est-à-dire le 2 ou le 3, une sorte de panique a régné, pendant tout le week-end, dans les rangs de la majorité. Du coup, Chirac, qui était à Strasbourg samedi et dimanche, en est revenu précipitamment et a demandé audience à Giscard. Je ne suis pas sûre d'ailleurs que ce soit uniquement à cause des sondages. Car le RPR vient de subir, à Strasbourg précisément, un revers de taille : un des lieutenants les plus entreprenants, énergiques, remuants, comme on voudra, de Jacques Chirac, Robert Grossman, que je trouve pour ma part particulièrement épais, vient de se faire battre à une élection cantonale partielle par un socialiste.
Un socialiste ! Dans l'Est de la France ! Panique générale !
Giscard a dit oui, il recevra Chirac dans la semaine, mercredi prochain.
Tête-à-tête attendu et qui va valoir son pesant de cacahuètes.
Jacques Toubon plaisante : « Jacques Chirac a voulu dire à Giscard : Sire, voici l'état de la France ! »
À l'Élysée, on plaisante moins. Comme le dit Jean Riolacci, que je rappelle à cette occasion au téléphone après notre conversation de l'autre jour : « Chirac est assuré aujourd'hui d'être le plus fort au premier tour. Pour gagner au second, il lui faut s'assurer des bons reports des voix giscardiennes. Il a donc intérêt à venir faire des mamours au chef de l'État. »
Un autre conseiller de Giscard résume les choses ainsi pour André Chambraud, qui me le rapporte à son tour : « Nous le voyons venir, Chirac, avec ses gros sabots ! Il profite du moment pour dire à Giscard : Écoutez-moi, puisque vous voyez bien que je suis le plus fort ! »
7 décembre
Donc Giscard a reçu Chirac. Aujourd'hui, je n'ai pu en avoir aucun écho. J'y reviendrai.
8 décembre
Avec Yves Guéna, pendant que nous évoquons les élections prochaines, le pessimisme est de rigueur au RPR. Pourquoi ? D'abord, sans doute, mais il ne le dit pas, parce que ses rapports avec le couple Juillet-Garaud se dégradent de jour en jour : j'en suis sûre, sans avoir d'anecdote précise qui vienne à l'appui de ma conviction. Cela me semble tout simplement dans l'ordre des choses.
Mais aussi pour des raisons plus politiques et moins personnelles : parce qu'il pense que le report des voix ne sera pas sans accroc entre les candidats RPR et les giscardiens. Il faudrait établir une bonne entente au sein de la majorité, cesser les agressions souterraines entre les différents partis qui la composent. Dans l'idéal, pense-t-il, il faudrait également infléchir la politique économique.
On en revient au plan Barre, obstacle majeur, estime Guéna, dans la prochaine campagne électorale.
C'est ainsi qu'il m'explique la rencontre qui, après celle de Debré, s'est déroulée entre le président de la République et Jacques Chirac :
« Il n'est pas anormal que le chef du principal parti de la majorité aille faire part au président de la République de ses craintes sur tous ces sujets. Que le Président l'ait écouté et même entendu n'est pas négligeable. »
Pas anormal, pas négligeable : tout cela traduit, même si mon interlocuteur ne s'en rend pas compte, une extraordinaire méfiance vis-à-vis de Giscard, un formidable manque d'enthousiasme à l'idée de se retrouver côte à côte avec les Républicains indépendants dans cette
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