Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
pas à sa répercussion immédiate sur les intentions de vote.
« Au fond, me dit-il encore, en l'état actuel des choses, tous les partis de la majorité sont à la recherche de leur jeunesse. Le RPR ? Il est encore fait de vieux combattants de la rue de Solferino 43 , qui revivent le gaullisme et le RPF 44 . La vie est courte, plaisante-t-il. Si on veut revivre sa jeunesse, il ne faut pas s'en priver. Mais faut-il en faire pour autant une stratégie électorale ?
« Le Parti républicain, de son côté, revit les jours de 1974 où Giscard a été élu. Même chose pour Lecanuet : il a obtenu 15 % des voix en 1965 ; il croit toujours les avoir, même si tous les faits lui démontrent ou devraient lui démontrer le contraire. Lorsqu'il vous explique que le CDS est une structure d'accueil pour les socialistes en transit, on croit rêver. Le Parti radical, lui, revit Wagram. Les seuls à ne pas revivre leur jeunesse, parce qu'ils ont trop grossi depuis, ce sont les socialistes ! »
Il y a du vrai, il me semble, dans ce qu'il me dit : l'étonnant est qu'il englobe les Républicains de Giscard dans la meute de ceux qui ressassent leur enfance. Il croit d'ailleurs utile de me préciser, mi-figue mi-raisin : « Ne dites pas que je vous ai dit cela, je serais révoqué sur l'heure ! »
Mais il va plus loin dans l'analyse spectrale de la France politique : « Deux idées me sont chères, poursuit-il. La France n'est pas divisée en deux familles, mais en quatre à peu près égales : le PC, le PS, les orléanistes et les bonapartistes. Suivant la conjoncture, ces familles peuvent se gonfler ou au contraire se dessécher. Nous avons donc devant nous deux possibilités. Ou bien créer artificiellement trois familles : la plus importante serait formée de la social-démocratie classique à laquelle s'allieraient le centre libéral et une partie des réformateurs : ce qui laisserait sur la droite les conservateurs et sur la gauche une partie des socialistes alliés aux communistes. Ou, deuxième possibilité, on peut “enfler” deux familles sur les quatre : 30 % aux socialistes, 30 % aux libéraux. Pour le moment, c'est plutôt vers ce schéma que je crois qu'il faut se diriger.
« J'ai une seconde idée. Dans ce système à quatre, être élu implique de répondre à l'une de ces deux conditions : être élu au premier tour, ou attractif au deuxième. Je suis convaincu que le RPR répond aujourd'hui à la première condition, mais pas à la seconde. Donc, pour gagner ces élections, j'en conclus qu'il faut placer le maximum de libéraux au premier tour, en étant persuadé qu'ils seront meilleurs que les conservateurs au deuxième. Dans toutes les circonscriptions tangentes, il nous faut un bon libéral. C'est d'ailleurs le même calcul que fait Mitterrand avec les communistes, moins bien placés que les socialistes pour battre la majorité au deuxième tour ! »
Il a sa façon à lui de présenter de façon benoîte sa stratégie d'élimination du RPR. D'ailleurs, il termine ainsi en me raccompagnant à la porte de son bureau :
« La situation qui serait la plus préjudiciable pour le Président serait l'élection de 140 députés RPR. Mais s'il y en a, mettons, 125, les libéraux auront le même nombre d'élus, la majorité sera alors rééquilibrée, et la situation politique sera débloquée ! Dans ce cas, nous imposerons un Premier ministre de centre gauche ! »
Une dernière phrase en forme de rire jaune : « Si la gauche est majoritaire, il est vrai que la situation sera également débloquée, mais d'une autre façon » – et je prends congé de lui.
4 décembre
Michel Debré a rencontré Giscard hier. Rencontre courtoise, sans chaleur mais sans animosité. Il a plaidé plusieurs dossiers. Le premier a trait à l'unité de la majorité. Celle-ci, a-t-il insisté, n'a pas intérêt à se désunir. Mais il faudrait trouver sur quels grands thèmes, sur quelles grandes idées elle serait en mesure de se retrouver. « Sur la défense, par exemple, a ponctué Michel Debré, je ne vois pas que cela lui soit possible ! »
Sur le Parti socialiste, Debré a tenu ce langage : « Ne vous faites pas d'illusions. Vous ne négocierez avec le PS que si vous gagnez les élections. Si vous les perdez, les socialistes feront monter les enchères. Ils seront odieux avec vous. »
Sur ce point, Debré a trouvé Giscard tout à fait convaincu.
C'est sur le plan Barre que le
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