Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
conséquent, nous devons déterminer si nous voulons qu'une entreprise survive ou non.
« Pourquoi vous cacher la vérité ? poursuit-il devant les 1 500 militants qui l'écoutent bouche bée. Nous savons que si nous voulons survivre dans la compétition de demain, nous devons restructurer les entreprises et accepter des sacrifices. C'est l'intérêt de tous, il faudra nous y plier ! »
Pourtant, interroge l'interviewer, Jacques Chirac propose un projet de société plus juste et plus humaniste ? Barre se contente de répondre qu'en période électorale, il y a toujours « une nervosité, une agressivité, une agitation » ; les Français, il le dit en substance, ne doivent pas se laisser avoir.
Quelques questions pour finir sur l'inflation : Pinay a, en son temps, proposé une baisse de 5 %, demande Trampoglieri, pourquoi pas vous ? Là, Raymond Barre prend un air estomaqué. « Je me bats assez pour que les prix ne montent pas de 5 %. On ne fait pas de baisses artificielles des prix ! »
Commentaire désappointé de Raymond Barre après la réunion : « Eh oui, c'est cela, la politique ! »
Je ne suis pas sûr qu'il imagine quel tollé il aurait rencontré chez son auditoire si la salle n'avait pas été composée avec un soin extrême ! Ses réponses ont été aussi peu politiques que possible. C'est peu de dire qu'il ne cherche pas à être démagogue.
À trois mois des législatives, il tente d'imposer son autorité politique. Face à Giscard et à Chirac, il n'a ni troupes, ni autorité. Alors il a fait ce qu'il a pu à Cruseilles. Mais Cruseilles n'est pas la France !
23 novembre
Michel Debré, que je rencontre à l'Assemblée, vêtu de son petit loden vert, me parle de la lettre qu'il a envoyée à Giscard. Très courtoise, mais ferme sur deux plans. Il lui a d'abord écrit que l'addition des mécontentements restait favorable au Parti socialiste, qui pourrait être vainqueur aux élections de mars prochain. Ensuite, que la France lui donnait l'impression d'être toujours aussi mal gouvernée.
Conclusion telle que Debré me la résume : « Je lui ai dit : dans ces conditions, empêchons l'un et l'autre que vos amis attaquent mes amis ! »
Je note au passage – mais ne le fais pas remarquer à mon interlocuteur – qu'il a dit « mes » amis, pas « les amis de Chirac ».
En réponse à cette lettre, Giscard a demandé à Michel Debré de venir le voir : rendez-vous a été pris pour la semaine prochaine.
Cela me rappelle – c'est une digression – que Jacques Chirac m'avait raconté un jour à quel point Georges Pompidou était parfois excédé d'entendre Michel Debré intervenir et mettre son grain de sel pendant tous les Conseils des ministres. Giscard doit avoir éprouvé la même irritation en recevant le poulet de Debré, même si, depuis le temps, il doit y être habitué.
Je demande à Debré s'il a parlé à Chirac (ou à Juillet) de l'initiative qu'il a prise d'écrire au Président. « Non, répond-il, mais il ne m'en voudra pas, il trouvera cela normal. Si je ne le fais pas, qui le fera ? »
Son rôle dans tout cela ? Sa réponse jaillit sans attendre : « Je suis là, me dit-il, parce que si je n'y étais pas, Guichard, Frey, Chaban et Peyrefitte ficheraient le camp ! Je suis là pour les empêcher de quitter le camp gaulliste ! »
Là encore, il n'a pas dit : le camp de Chirac, mais le camp gaulliste ; ce qui veut dire, je n'en doute pas un moment, qu'il ne se considère jamais comme un lieutenant ou un partisan de Jacques Chirac, même si c'est celui-ci qui conduit, en titre, la bataille. Mais qu'il veut rester, dans cet univers où le gaullisme n'a plus guère sa place, comme le combattant – le dernier, peut-être – du Général.
27 novembre
J'ai vu Mitterrand il y a trois jours, jeudi 24, à l'occasion d'un « petit déjeuner » de France Inter 40 . Après un début d'émission banal, il s'anime. Il ignore toujours ce que feront les communistes.
« Tout peut arriver, nous dit-il. Avec eux, j'ai souvent vécu des épisodes ahurissants. Rappelez-vous le fameux référendum sur l'Europe. Les discussions avaient été très dures entre nous, puisque nous avions décidé de nous abstenir et eux de voter contre. Et pourtant, au lendemain du scrutin, Georges Marchais lui-même m'a appelé. Nous avons immédiatement repris les négociations sur le Programme commun que nous avons du reste signé six mois plus
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