Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
bataille décisive.
Je me dis que si la gauche n'avait pas rompu, la majorité RPR-PR aurait trouvé le moyen de s'unir contre un ennemi si dangereux. La rupture, au contraire, a contribué à desserrer les liens entre ses composantes. Et aussi le plan Barre, car Chirac a dit à Giscard, comme l'avait fait Debré : « Ne vous identifiez pas à un gouvernement qui n'a pas réussi. »
Ce qui était une façon de demander au Président de renoncer à faire définir – et donc à faire admettre aux ministres et aux secrétaires d'État RPR – les fameux « objectifs d'action » chers au Premier ministre.
À propos de Michel Debré, celui-ci vient de remettre de l'huile sur le feu avec Raymond Barre. Il a déclaré ce matin sur France Inter : « Je ne crois pas qu'il puisse conduire la majorité aux élections. » Tout simplement ! Chirac ne pouvait pas le dire ; il l'a fait.
Denis Baudoin 46 , qui a rejoint l'équipe de Chirac à l'Hôtel de Ville, me donne davantage de détails sur la rencontre entre Giscard et son ancien Premier ministre, parti dans les conditions que l'on sait.
La rencontre a eu lieu, coïncidence ou attention délicate, dans l'ancien bureau du président Pompidou, pas dans le bureau qu'occupe actuellement Giscard : il ne me cache pas qu'au départ, les deux hommes étaient tendus. Tellement que, fait rare, Chirac s'était reposé une heure avant son entrevue avec le chef de l'État !
Cette fois-ci, contrairement à la précédente 47 , ils étaient seuls : le secrétaire général de l'Élysée n'assistait pas à l'entretien.
Pour détendre l'atmosphère, Giscard a commencé par interroger Jacques Chirac sur ses voyages en province : « N'est-ce pas trop fatigant ? » s'est-il enquis courtoisement.
Puis on est passé aux choses sérieuses : la situation actuelle et l'inquiétude devant la désunion de la majorité. Comme il se doit, Chirac et Giscard ont déploré ensemble les malheureuses chamailleries entre leurs entourages, comme si bien sûr aucun des deux n'y était pour rien.
Au contraire, m'assure Baudoin, Chirac a tout à fait joué le jeu : il n'a pas mis en doute le fait qu'il faille mener la campagne derrière le président de la République ; bref, il a manifesté de plusieurs façons son respect envers Giscard.
« Les Français sont désorientés par la majorité, a dit Chirac. Si elle ne se resserre pas, si elle ne parvient pas à l'union, je pense qu'elle court, que nous courons de graves dangers. Il faut s'unir derrière le président de la République, c'est-à-dire derrière vous ! »
La phrase a dû lui écorcher les lèvres, mais il l'a dite, et c'est l'essentiel de l'entrevue.
Concernant Raymond Barre, Chirac a également rassuré Giscard : il ne va pas attaquer Barre de front, mais, de grâce, que le Président laisse chaque parti « libre de ses forces de proposition » ! Formule savamment choisie : c'est celle qu'a employée Giscard dans sa conférence de presse du 17 janvier dernier.
Il n'est pas allé plus loin dans son attaque contre Barre. Il ne lui a pas dit ce qu'il pense : c'est-à-dire la non-existence politique de Barre.
Giscard – c'est mon interlocuteur de l'Hôtel de Ville qui me le dit – a enregistré sans dire grand-chose lui-même les propos de Chirac. Les deux hommes ne sont pas convenus de se revoir, mais cette entrevue (telle est la conclusion de Baudoin) traduit tout de même une « amélioration de leurs rapports ».
Franchement, cela ne me paraît pas évident, mais, puisqu'il le dit, espérons qu'il le croit !
Après cela, Chirac est revenu à la mairie de Paris où l'attendaient Juillet, Marie-France Garaud, Monod et Baudoin, et leur a fait son compte rendu.
Par la suite, Chirac a téléphoné à Barre pour le voir pendant le week-end : mais celui-ci était alors à Lyon, Chirac, lui, devait conduire la discussion sur le budget de la Ville de Paris, lundi : les calendriers des deux hommes étaient incompatibles ! Bref, pas de réponse précise de Barre. L'actuel Premier ministre est moins accommodant que le Président.
Ce qui, entre nous, démontre que la rencontre Giscard-Chirac, si spectaculaire qu'elle soit, n'a levé aucune hypothèque entre les deux.
18 décembre
Je n'ai rien écrit d'une récente rencontre avec Giscard. Paisible et serein, refusant de parler de son entretien avec Chirac, mais plus prolixe (enfin, si l'on peut dire) sur Michel Debré. Il est sensible à la demande
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