Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
aujourd'hui. Le Premier ministre y est plus à l'aise, il faut le reconnaître, que devant son auditoire de Blois.
11-13 janvier
Un sondage IFOP pour France-Soir le confirme : Barre a plutôt réussi son entrée dans la politique active. Il a gagné en moins d'une semaine 5 % d'opinions positives. Giscard, qui a affecté tout au long de ces derniers jours d'être un simple consultant dans l'élaboration et la publication des options gouvernementales, en gagne 3.
Réussie, son entrée ? Oui, si l'on s'en tient aux chiffres mesurant sa popularité. Non, puisque la majorité entre aujourd'hui dans la crise. Pour de nombreuses raisons que l'approche des élections ne pouvait qu'accentuer. J'avais déjà, à Blois, craint que les « objectifs d'action » affichés devant la foule ne provoquent chez Jacques Chirac quelques démangeaisons. Cela a été le cas, bien sûr ! Mais, surtout, ce qui a provoqué la déflagration, ç'a été la signature, le 3, d'un accord électoral entre républicains, centristes et autres radicaux, accord que l'Élysée et Matignon préparaient dans le secret depuis l'automne 3 . C'est Jean Riolacci qui en était le chef d'orchestre, bien sûr – il ne m'en avait dit mot, lorsque je l'avais rencontré, l'année dernière –, accompagné du chef de cabinet du ministre de l'Intérieur, Jean Paolini, et de Daniel Doustin, directeur de cabinet du Premier ministre. Autour d'eux, tous les leaders des centristes et des giscardiens, et même Jean-Jacques Servan-Schreiber, comme toujours très actif et imaginatif, pour le Parti radical.
Les réunions de travail entre centristes, giscardiens et radicaux, au pavillon de musique – sorte de cabanon doré au fond du jardin de l'hôtel Matignon –, n'ont en réalité pas cessé depuis l'automne, semble-t-il, mais aucune n'avait été suivie d'une annonce de 300 candidats giscardo-centristes s'opposant dans 300 circonscriptions aux candidats RPR. Même si ces candidats acceptent éventuellement de se désister au deuxième tour pour le candidat du RPR si celui-ci arrive avant eux au premier tour, c'est l'annonce unilatérale de ces candidatures qui a précipité la rupture.
Chirac a hurlé, Yves Guéna a pris le relais au sein du comité de liaison de la majorité, mercredi après-midi, où il a accusé ses partenaires d'avoir rompu leurs accords avec le RPR. À vrai dire, depuis longtemps ils savaient l'un et l'autre que des réunions fractionnelles se tenaient ; ils ont été néanmoins pris de court. À moins qu'ils n'aient attendu ce moment pour crier au complot.
Résultat : dans la foulée, le RPR a désigné des candidats contre les leaders centristes et giscardiens 4 . C'est ce que Raymond Barre a minimisé, à « Cartes sur table », le 11, en disant : « C'est une péripétie préélectorale. Nous en verrons d'autres. »
12 janvier
Étonnante scène de roman que me raconte au téléphone Maurice Faure. Il a passé trente-six heures dans sa maison de Saint-Pierre-de-Chignac avec François Mitterrand, au début du mois. Promenades dans la forêt de Dordogne, plats copieux préparés par la vieille cuisinière. La discussion a porté pendant des heures sur... la meilleure façon d'échouer !
Pour Maurice Faure, « il y a une chance sur deux pour que, dans deux mois, après les élections, nous ayons le bébé sur les bras » (traduction : pour que nous ayons gagné !). Si la gauche gagne, donc, VGE sera obligé de faire appel à un Premier ministre appartenant à la nouvelle majorité. « Les communistes soutiendront le nouveau gouvernement issu de ces législatives, résume Maurice Faure, mais ils n'y participeront pas : ils voteront l'investiture avec un discours au picrate. Ils soutiendront les premières mesures : le salaire minimum à 2 400 francs, les nationalisations, la cinquième semaine de congés payés. Mais l'économie flanchera, il faudra donc envisager des mesures de rigueur, et là, les communistes laisseront tomber ! »
Maurice Faure continue à dérouler son scénario de politique fiction :
« Donc, poursuit-il, nouvelles élections. Et la droite l'emporte. Il est donc important de savoir et de mettre au point l'attitude de la gauche, battue après avoir été victorieuse quelques semaines, que dis-je, quelques jours, auparavant ! »
Je rêve : ils ont parlé d'échec pendant près de deux jours ! J'ai peine à le croire. Tu parles d'une perspective réjouissante ! Si leurs
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