Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Marchais de l'assumer tout seul. »
Diable, quel visage il a pris, ce Marchais ! Fermé, le sourcil plus noir que jamais, l'air de vouloir en découdre avec le monde entier. Ah, il est loin, l'eurocommunisme !
8 janvier
Raymond Barre commence l'année en fanfare à Blois où je rejoins le cortège de la presse ministérielle avec ma propre voiture, bien décidée à regagner Paris une fois la dernière phrase prononcée. Dieu merci, l'autoroute n'était pas verglacée : je n'ai appris qu'à mon arrivée que les routes du département sont souvent impraticables. Du coup, Premier ministre et ministres ont rallié la ville par le train.
Immense chapiteau bleu, malgré tout trop petit pour contenir les 7 000 personnes qui, nous dit-on, se sont déplacées pour écouter le Premier ministre malgré le froid glacial. Rien ne manque à la mise en scène dans laquelle il garde cet air docte, costume croisé et lunettes épaisses, dont il ne se départ jamais. Curieusement, c'est une musique religieuse qui a été choisie par les organisateurs de ce meeting : elle s'arrête net au moment où Raymond Barre entre dans l'arène.
Il est assez content de lui, M. Barre, en ce moment : tous les chiffres sont plutôt meilleurs qu'avant, encore que l'inflation, par exemple, ralentisse bien peu : on a été à 9 % à la fin de l'année dernière, c'est encore beaucoup, mais moins que l'année précédente : 9,9 %. Il y a bien eu ces mouvements sociaux, à la fin de l'année, mais cela n'a pas l'air de l'avoir perturbé. Pas plus que le mécontentement des commerçants, pointés du doigt, à l'automne, par le Premier ministre comme les auteurs de l'inflation, boulangers et pâtissiers surtout, accusés de ne pas avoir répercuté sur leurs prix la baisse de la TVA les années précédentes : ils appartenaient à l'électorat majoritaire et sont loin de partager aujourd'hui la sérénité de M. Barre. Tout cela, pourtant, petits ou grands calculs électoraux, a glissé sur ses habits de professeur comme l'eau sur les plumes d'un canard.
Bref, à Blois, aujourd'hui, il était content de lui, cela s'est vu. Il avait eu le temps de peaufiner son discours pendant le séminaire de Rambouillet, le vendredi et le samedi, où il avait réuni ministres et conseillers. Un séminaire sans histoires, puisque les ministres RPR n'y ont rien trouvé à redire.
D'ailleurs, les 14 ministres, dont les 4 RPR, sont rangés derrière lui sur l'estrade par ordre protocolaire, Alain Peyrefitte en premier 2 . Devant eux, au premier rang du public, les secrétaires d'État et les élus du département et de la région. Derrière lui, dans le décor, on lit en lettres immenses : « Objectifs d'action pour les libertés et la justice. » Le défi à Chirac passe inaperçu pour la foule, mais le fait que Barre, donc Giscard, ait tenu à voir afficher les mots « Objectifs d'action », et que les ministres RPR aient laissé faire, traduit la difficulté d'être de Jacques Chirac, en ce moment, face au gouvernement de son successeur.
C'est peu de dire que cet homme n'est pas un orateur. On m'a toujours dit que ses élèves admiraient sa façon de leur faire cours : franchement, je trouve interminables les 25 feuillets qu'il nous lit en une heure environ, sans aucun effet de manches, sur un ton monocorde. Il s'agit d'une sorte de catalogue de l'action gouvernementale dans lequel j'ai noté au passage l'annonce d'exonérations des charges des entreprises en cas d'embauche de jeunes, l'accroissement de la participation, la prolongation du congé de maternité. Je lirai l'intégralité du discours demain, mais que tout cela était ennuyeux ! Et long... La phrase la plus applaudie, Dieu sait pourquoi, a trait – il faut l'entendre pour le croire ! – à la surveillance des feuilletons policiers à la télévision !
D'ailleurs, Raymond Barre ne s'est pas attardé à Blois, et moi pas davantage. Le discours a pourtant touché son but : il s'agit d'un honnête discours à la veille d'une élection, pas trop imaginatif mais pas trop démagogue. Qui ne suscite aucun enthousiasme tout en n'éveillant aucune agressivité.
11 janvier
Après Blois, voici venu le moment pour Raymond Barre de se « faire connaître », comme avait dit, je crois, de Gaulle à Pompidou. D'où un calendrier impeccablement monté : conférence de presse le 9, « Club de la Presse » d'Europe 1 le même jour, « Cartes sur table » à la télévision
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