Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Direz-vous un mot de congé à la soixantaine de personnes qui attendent, les malheureux, dans les grands salons ?
VGE répond non de la tête. L'huissier ressort et fiche tout le monde à la porte. Ne restent, empêtrés dans leurs malentendus et leurs accusations de complot, que les chefs de la majorité, qui finissent par se quitter.
Après m'avoir situé la scène, Peyrefitte parle avec moi du fond des choses :
« Lors du séminaire de Rambouillet 7 , me dit-il, j'avais dit qu'il fallait faire un effort pour l'unité, et même envisager un meeting commun entre le RPR et les autres, vers la mi-février. Ma proposition est tombée à l'eau, personne n'a saisi la balle au bond, personne n'en a plus jamais parlé. Cent mille têtes sous le même hangar, tout de même, cela aurait eu de l'allure, et sans doute tout arrangé ! »
Bref, cela ne s'est pas fait. La liste de la majorité barriste, en revanche, s'est bel et bien faite. Il y en avait moins de 300 lors du discours de Blois, il y en a 363 aujourd'hui. Pourquoi pile 363 ? Il s'agit d'une allusion historique, insiste Peyrefitte en ancien élève de l'École normale supérieure, aux 363 candidats républicains opposés à Mac-Mahon 8 en 1877. Il doit être le seul parmi les quinze ténors de la majorité à savoir cela ; je doute même que Giscard et Barre aient pensé, en faisant leur liste, à Mac-Mahon !
Alain Peyrefitte a interrogé sur ce sujet une première fois le Premier ministre, jeudi dernier : Raymond Barre lui a assuré qu'il ne prendrait pas la tête de ces 363, qu'il n'y figurerait même pas, qu'il ne s'agissait même pas de faire des affiches communes ni d'élaborer un slogan commun. Aujourd'hui, juste avant notre déjeuner, il l'a rappelé et a redit qu'il n'était pour rien dans la constitution de cette liste, mais qu'il ne pouvait plus reculer après la sortie de Chirac à Vierzon.
Conclusion de Peyrefitte : « C'est une mécanique absurde qui poursuit son chemin. »
Il reste, hâtivement écrites sur le menu du déjeuner au ministère de la Justice, quelques phrases que je relis avec difficulté, ce soir : elles concernent Jacques Chirac. « Depuis août 1976, me dit Peyrefitte, Jacques Chirac oscille entre la stratégie de l'échec (après des élections législatives perdues par la majorité, Chirac pourra être le recours) et la stratégie du succès (on peut gagner, gagnons ensemble). Depuis la semaine dernière, j'en suis sûr, il a choisi la stratégie de l'échec ! C'est la constitution, en grande partie pilotée par Jean-Jacques Servan-Schreiber, d'un front anti-RPR, qui a précipité Chirac dans cette stratégie de l'échec. »
« Giscard, me dit encore Peyrefitte, a trouvé son ton : son discours d'hier à l'Élysée était parfait. » Selon lui, le Président interviendra encore plusieurs fois avant le début de la campagne officielle.
Avec Jacques Douffiagues, dans l'après-midi, j'en sais un peu plus long sur ce déjeuner présidentiel de rupture. Entre Soisson et Chirac, il y a eu un dialogue de sourds, tandis que Giscard, tentant de prendre du recul, précisait que les problèmes des partis politiques ne le concernaient pas.
À un moment donné, Jean-Pierre Soisson a proposé une réunion au sommet de la majorité. « D'accord, a dit Chirac, à condition que vous renonciez à votre stratégie anti-RPR.
– D'accord, a répondu Soisson du tac au tac, à condition que vous renonciez à votre préalable. »
« Nous n'avons pas violé les accords, se défend avec moi Douffiagues aujourd'hui. Si quelqu'un les a violés, c'est Jacques Chirac avec son discours de Vierzon ! Le problème est de savoir jusqu'où ira l'escalade. »
Il me raconte qu'au déjeuner de l'Élysée, il se trouvait à côté de Jérôme Monod. Celui-ci, qui avait été quelques années auparavant son patron à la Datar 9 , lui avait répété sur un ton courtois l'accusation de « viol » des accords majoritaires, puis annoncé que Chirac s'apprêtait, à l'Élysée, à faire un éclat : « Vous ne serez pas déçu », lui a-t-il dit en souriant quelques instants avant la fin du déjeuner c'est-à-dire avant que les 15 ne se réunissent dans le salon Pompadour pour le café.
17 janvier en fin d'après-midi
Michel Debré, qui prend tout à l'heure l'avion de nuit pour la Réunion, n'a pas l'air mécontent de planter là pour quelques jours le remue-ménage majoritaire. Il me raconte qu'hier matin, donc quelques heures
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