Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
du Parti socialiste derrière lui.
Pour la gauche, le coup est rude. La sentence paraît sans appel. Mauroy revient avec moi, en fin d'après-midi, sur cet échec. Il me rappelle qu'il a été un des premiers, avant le deuxième tour, à signer l'arrêt de mort du Programme commun devant la presse anglo-américaine dont il était l'invité. Il avait dit, il me le répète : « Il serait souhaitable que le Programme commun ne soit pas une sorte de carcan. » Il ajoute pour moi : « Nous avions signé un Programme commun en 1972, et puis voici que les communistes se sont mis à déchirer une à une les pages du livre pour en recoller d'autres à la place. Plus rien de tout cela n'était crédible. »
Tandis que chacun, au PS, se pose les sempiternels problèmes liés à la fatalité de l'alliance à gauche, Giscard, lui, ne peut que se féliciter du résultat : il est intervenu dans la campagne ni trop, ni trop peu, assez pour qu'il puisse faire remonter la victoire à son discours de Verdun-sur-le-Doubs, le 27 janvier dernier, sans s'attarder sur son intervention finale du samedi soir, avant le vote.
Chirac a fait une campagne d'enfer, le RPR devance certes l'UDF, mais le rééquilibrage a commencé. La victoire de Giscard est d'autant plus forte qu'il a été longtemps le seul (ou presque) à y croire.
22 mars
À peine connus les résultats qui lui ont donc donné raison, Giscard a repris la main. Il a décidé l'ouverture. Qu'est-ce que c'est, l'ouverture ? Pour le moment, il s'agit essentiellement de rencontrer tous les leaders de tous les partis politiques de droite ou de gauche. Pour leur proposer quoi ? Personne n'en sait trop rien. De toute façon, c'est une façon, pour le chef de l'État, de montrer qu'il a gagné, que son analyse a été la bonne.
Giscard et Mitterrand se sont donc rencontrés cette semaine. Comme de règle, le terrain a été préparé par Georges Dayan et Jean François-Poncet. François Mitterrand avait posé comme condition d'être le premier homme politique à être reçu par le chef de l'État et de garder sa liberté de parole sur le perron de l'Élysée à la sortie. À 17 h 30, ce mardi 21, il a donc gravi le premier les marches de l'Élysée pour répondre à l'invitation de Giscard victorieux. C'est une grande première sous la V e République : depuis 1958, le chef de l'opposition n'avait pas mis les pieds dans le palais présidentiel 22 . Je ne sais pas – et je ne saurai sans doute pas – ce qu'ils se sont dit. L'un a gagné, l'autre a perdu, voilà tout.
23 mars
Giscard pousse son avantage : il profite des bons résultats de ses partisans, qui talonnent le RPR, pour créer officiellement l'UDF. Un cartel électoral devenu aujourd'hui un vrai parti. Le nom de l'UDF, donc, a été trouvé par Jean-Jacques Servan-Schreiber. Un regroupement du CDS, du Parti républicain et des clubs giscardiens ainsi que du Parti radical. Jean Lecanuet en assure la présidence, flanqué de Jean-Pierre Soisson, Françoise Giroud et Jean-Pierre Fourcade 23 .
Il y a un autre grand perdant dans ces élections, même si son échec est moins patent que celui de la gauche : c'est Jacques Chirac. Il n'est pas parvenu à écraser les giscardiens, et toute son action visait précisément à maintenir la citadelle RPR, à la rendre incontournable. Indispensable.
Lui aussi a perdu son pari.
24 mars
Bataille pour le perchoir. Coup de téléphone de Michel Debré. « Les élections, me dit-il, ont failli être un drame, mais la victoire de la majorité est une comédie ! »
Il fait allusion à cette bagarre stupide entre Edgar Faure et Jacques Chaban-Delmas pour le perchoir 24 . « Je comprends ce qui s'est passé, me dit-il. La vérité est que Jacques Chirac promet n'importe quoi à tout le monde : il a dû dire à Chaban qui se plaignait : “Bien sûr, vous aurez mon soutien dès que vous serez désigné par le groupe RPR.” Tout en promettant le même soutien à Edgar Faure ! »
Reste que chacun s'attend maintenant à un coup de tabac entre le RPR et l'UDF. Paul Granet me raconte par exemple que Serisé lui a demandé de ne pas s'inscrire tout de suite à l'UDF. Je m'étonne. « Simple, m'explique-t-il. Le futur gouvernement sera composé pour un tiers d'UDF, pour un second tiers de RPR, pour le troisième de non-inscrits. Serisé a donc besoin de non-inscrits pour son troisième tiers. Des non-inscrits plutôt giscardiens feraient à merveille l'affaire.
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