Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
À condition qu'ils restent des “sous-marins”, qu'ils ne déclarent pas leur préférence avant le moment où Giscard les appellera au gouvernement ! »
29 mars
« Amère victoire », me dit Yves Guéna ce matin. « Ça va se durcir entre Giscard et nous », m'a dit Debré hier soir. « On en a pour dix ans », me dit ce matin Pierre Mauroy, qui ajoute : « C'est fini pour l'élection présidentielle prochaine. »
C'est vrai : j'ai l'impression, tardive, que le règne Giscard ne fait que commencer depuis les législatives. Avant, de 1974 à mars 1978, c'était une sorte d'interrègne, pas davantage. Curieux !
« Dix ans », dit Mauroy : son calcul est simple. Il additionne les trois ans à courir d'ici à l'élection présidentielle de 1981, plus sept ans d'un second septennat Giscard.
« Dix ans » : c'est aussi, m'assure Michel Debré, le terme que Valéry Giscard d'Estaing s'est fixé lorsqu'il a reçu Jacques Chirac dans le cadre de ses rencontres élyséennes.
4 avril
Résumé de la semaine précédente : vu Roland Leroy qui prend volontiers son parti de l'échec. « Eh oui, me dit-il, la meilleure des solutions aurait été de gagner les élections, mais sans écart excessif entre le PS et le PC. Jusqu'au bout nous avons espéré que le PC atteindrait les 23 %. Ce que nous avons craint par-dessus tout était d'arriver au pouvoir avec 30 % de socialistes et 20 % de communistes. Parce que, cela, c'était la “portugalisation” immédiate 25 . Oui, c'est vrai, nous voulions affaiblir le Parti socialiste par rapport à nous.
– Même si cela devait passer par la victoire de la majorité ? »
Sourire sans réponse.
Je lui dis que les oppositionnels, au sein du PC, vont s'agiter, et qu'en plus ils vont le faire en son nom, en réclamant pour lui le secrétariat général du Parti. Il me dit : « Ils ont tort : c'est à l'intérieur qu'ils doivent mener leur combat, sans essayer de nous opposer, Marchais et moi ! »
À peine l'ai-je quitté que le débat s'ouvre à l'intérieur du PC.
« Le Parti n'a pas toujours raison », a osé dire pour la première fois dans Le Monde du 31 mars Raymond Jean, écrivain et membre du PC 26 .
La bataille Chaban-Faure pour le perchoir : il a été d'emblée évident que Jacques Chirac mobilisait toutes ses forces en faveur d'Edgar Faure. À peine débarqué de leur week-end pascal, la « bande à Chirac » a pris les députés RPR en main. En échange d'un vote assuré à Edgar, les lieutenants de Jacques Chirac promettent à l'un un siège dans une « bonne » commission, à l'autre une aide financière pour payer le solde de ses dépenses électorales, au troisième un coup de pouce pour entrer au gouvernement dans le contingent du RPR.
Quelle est la part prise par Marie-France Garaud dans cette campagne fauriste ? Sans doute essentielle : elle continue, me dit Yves Guéna, à penser que Jacques Chaban-Delmas serait catastrophique à ce poste, comme, selon elle, il l'a été à Matignon. Quel acharnement de la part de cette femme ! Je comprends assez bien sa position avant la présidentielle de 1974, mais le perchoir, franchement, il me semble qu'on aurait pu, ne serait-ce qu'à titre de compensation, l'accorder sans difficulté à Chaban ! Il paraît qu'elle redoute qu'une fois au perchoir, Chaban soit un obstacle à la future carrière (présidentielle ?) de Jacques Chirac.
Mais Chaban, cette fois, n'est pas resté sans réaction. Lui aussi a mené campagne, lui aussi a « travaillé » le député de base, lui démontrant point par point qu'il n'était pas le candidat de l'Élysée, mais celui des vrais gaullistes 27 . En même temps, il était soutenu en sous-main par l'Élysée, pas fâché de contrer Chirac sur ce point.
C'est lui qui a fini par gagner : même si la campagne menée par Chirac en faveur d'Edgar Faure a bien sûr fini par entraîner les votes de certains députés RPR, les défections dans ses rangs ont été suffisantes pour, cette fois, faire élire Chaban.
Edgar Faure voulait se maintenir après un premier tour de scrutin assez catastrophique. Chirac s'est déclaré favorable à son maintien. Mais le groupe RPR ne l'a pas entendu de cette oreille et a manifesté violemment sa mauvaise humeur contre Edgar Faure. Ce qui, entre nous, était prévisible : le groupe RPR a une sorte de mauvaise conscience, depuis 1974, à l'égard de Chaban que certains d'entre eux ont contribué à
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