Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
faire battre, sa nomination au perchoir était un moyen de se déculpabiliser. « D'autant, me confie Guéna, toujours lucide, entre Chaban, compagnon de la Libération, et Edgar, comment hésiter ? »
Alors, Edgar, réaliste, s'est retiré sans demander son reste, en omettant de prévenir Chirac qui est resté seul à le soutenir !
Chaban a donc été élu, contre l'avis du chef de son mouvement.
C'est un premier avertissement, en forme de tape sur la main, donné par son groupe à Chirac : 1) parce qu'il a choisi un mauvais candidat, Edgar Faure, en cédant à son penchant de ne promouvoir que des gens qui lui doivent tout ; 2) parce qu'il devait éviter de livrer si tôt un premier combat contre son propre groupe ; d'autant que la candidature Chaban, qui a été trop humilié par Jacques Chirac depuis 1974, pouvait séduire les gaullistes ; 3) parce qu'il a défié la mécanique présidentielle au moment où elle était confortée par le corps électoral. Giscard ne voyait pas d'obstacle à l'élection de Chaban-Delmas ; il ne voulait pas d'Edgar, trop inféodé selon lui à Jacques Chirac. Après le succès de Giscard aux législatives, il était trop tôt pour se mesurer à lui. « Le premier échec de Jacques Chirac », c'est ainsi qu'a titré Le Point cette semaine.
5 avril
Pierre Mauroy me raconte que François Mitterrand, ce matin, pendant la réunion du secrétariat du Parti socialiste, s'est lancé dans une longue diatribe contre la presse, le Ceres et Michel Rocard – contre ses ennemis. Il refusait de terminer sa lettre aux militants, commencée la veille, qu'il avait interrompue. Michel Rocard aurait pris alors la parole – dixit Mauroy – pour faire acte d'allégeance à Mitterrand : il n'a rien voulu, rien fait, rien demandé. Si Le Matin de Paris et le Nouvel Observateur ont parlé de lui, ce n'était pas sa faute.
L'essentiel est que, selon Mauroy, Mitterrand est beaucoup plus affecté par la défaite qu'il ne le laissait paraître jusqu'à présent. Il est exaspéré à l'idée que cette victoire si proche ait été perdue.
6 avril
Georges Marchais à France Inter : il passe deux heures et quart, dont une heure d'antenne, à parler du PS. Voici, reclassés, les thèmes qu'il a abordés :
1) Mitterrand, en refusant de l'actualiser, a pris, en fait, la décision de se débarrasser du Programme commun. Il avait déjà écrit que les nationalisations mettraient en cause mille entreprises (dans un texte public, dit Marchais, je ne sais pas lequel). Feindre, comme il l'a fait, de redécouvrir le problème des nationalisations est le signe de son refus profond.
2) Il a changé de tactique après les dernières municipales, l'année dernière, sous l'influence des sociaux-démocrates allemands (voir, paraît-il, les derniers textes de l'Internationale socialiste) et aussi de la Confédération européenne des syndicats : d'où le texte de la CFDT, en retrait par rapport au Programme commun. Bref, il a obéi aux chrétiens et aux socialistes allemands.
3) Les preuves de ce changement ?
a. – D'abord, l'attitude de Gaston Defferre aux élections municipales à Marseille en 1977. Il avait refusé tout projet de liste commune. « Defferre appliquait en fait les consignes réelles de Mitterrand.
– Mais, lui dis-je, au congrès de Dijon, c'est Mitterrand qui a obligé le Parti socialiste à faire entrer les communistes dans les municipalités !
– Vous confondez le discours public et le discours privé, me répond Marchais. Moi, je vous dis que lors d'un comité directeur, Mitterrand a engueulé les militants socialistes qui avaient donné la tête de liste à un communiste à Reims !
– C'était parce que le rapport de force entre les deux partis n'allait pas dans ce sens-là : il pensait qu'à Reims les socialistes étaient plus forts et n'auraient pas dû concéder la première place !
– Faux ! En 1974, les communistes avaient été les plus forts ! »
b. – La certitude dans laquelle aurait été Mitterrand que le PS obtiendrait plus de 30 % des voix au premier tour, et qu'il pourrait donc se passer des communistes.
c. – L'attitude de Robert Fabre, président des radicaux de gauche. D'abord, à la fameuse séance de septembre où il a claqué la porte, Robert Fabre et Mitterrand étaient arrivés ensemble et en retard, ce qui prouve leur collusion. Ensuite, dès l'ouverture de la séance, Robert Fabre a demandé, contrairement à
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