Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'union de la gauche : à Antony, me disent-ils, il n'y a que des radicaux incultes et des socialistes droitiers !
Je m'arrête : nous atterrissons à Grenoble.
11 mars
Les sondages prédisent tous une victoire, plus ou moins large, de la gauche. Comme François Mitterrand a dit, il y a quelques semaines, qu'il « garderait Giscard », toutes les rumeurs vont dans le même sens : François Mitterrand, en cas de réussite en mars prochain, serait appelé à Matignon.
On me raconte (est-ce Estier, ou Dayan ? j'ai oublié) qu'il y a quelques jours, à Marseille, Gaston Defferre, accueillant François Mitterrand à l'occasion d'un meeting électoral, lui a dit publiquement qu'il espérait, la prochaine fois, le recevoir en l'appelant : « Monsieur le Premier ministre. »
François Mitterrand a attendu d'être seul avec lui pour lui dire qu'il se serait passé de ce genre de plaisanterie. Pour deux raisons au moins. D'abord, il déteste tenter le sort, vendre la peau de l'ours. Ensuite parce qu'il n'est pas sûr qu'hériter de Matignon dans ces circonstances soit si facile. Il me semble que s'il le voulait très fort, il aurait accru volontairement la distance avec les communistes. Il a fait le contraire tout au long de la campagne.
Il est vrai que je l'ai senti souvent convaincu que si le Parti socialiste dépassait les 7 millions de voix, il aurait fait la preuve de sa capacité à gouverner dans le sens d'une social-démocratie sans les communistes. Pour le moment, il n'est sûr de rien : la faconde de Defferre est tombée à plat.
12 mars, premier tour des élections législatives
Je le sentais bien, tout de même, que cette déchirure entre communistes et socialistes ne profiterait ni aux uns, ni aux autres. Les sondages ont été de bout en bout ridicules : l'ensemble des partis dits du Programme commun atteint 45,1 % des voix, la majorité les devance avec 46,5 % ! Apparemment, la dernière prise de position de Giscard, samedi soir, juste avant le scrutin, a eu une importance considérable, même si l'intrusion du Président après la clôture de la campagne officielle puisse, il me semble, faire problème.
Le Parti socialiste est le premier parti de gauche, mais loin des 26 ou 27 % de suffrages que lui attribuaient les sondages. Et je ne parle même pas des prévisions optimistes de Jospin la semaine dernière : avec 22,5 % des voix, il devance certes le Parti communiste, à 20,5 %, mais Mitterrand n'a pas réuni sur son nom les 7 millions de voix dont il était sûr et qu'il avait lui-même fixé comme étiage, persuadé dans son for intérieur qu'il serait beaucoup plus haut.
Du côté de la majorité, avec 22,6 % le RPR est le premier parti de droite, devançant l'UDF de plus de 1 % des suffrages.
Giscard était à Rambouillet, enfermé dans le château avec famille et enfants. Au bout du compte, il a eu raison contre tout le monde.
À Château-Chinon où je suis dimanche soir, j'entends Mitterrand demander tout bas : « C'est vraiment tout ? » à celui qui lui communique les chiffres du sondage « sortie des urnes », fiable, lui, contrairement aux précédents.
Mitterrand, au Vieux-Morvan, n'a pas, me semble-t-il, hésité une seconde. Il sait que la victoire est maintenant hors de sa portée. Il prend également conscience que les socialistes n'ont pas creusé l'écart qu'il espérait avec le PC. Pierre Bérégovoy dans le Nord, à Maubeuge, Gilles Martinet dans l'Oise, ont été distancés par les candidats du PC.
Pas trace d'abattement sur le visage de Mitterrand, pas de trop visible déception. Il se surveille, comme toujours. Quand sera-t-il las ?
Quant aux communistes, un coup de téléphone au journal m'apprend que les 21 membres du bureau politique du PC se sont réunis depuis 20 heures dans le bureau de Roland Leroy à L'Humanité : Georges Marchais un peu moins tonitruant, Paul Laurent le débonnaire, Fiterman l'énigmatique, Étienne Fajon et André Vieuguet, les vieux de la vieille. Ils sont restés longtemps enfermés, méditant sans doute leur déception : ils s'attendaient à voir leur parti friser les 23 % et devancer éventuellement le PS ; ils sont à 21 %, et derrière lui.
Tout en se félicitant – je les vois comme si j'y étais – que la victoire de la gauche soit aujourd'hui, sauf miracle, impossible.
13 mars
22 heures. François Mitterrand lit le texte de l'accord – du « bon accord », dit-il – entre le PS
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