Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
et le PC. Un accord qui, selon lui, ouvre « la perspective d'une majorité de gauche à l'Assemblée nationale ». Avec Gaston Defferre à sa gauche, Mauroy à sa droite, il fait face à Georges Marchais dont le visage est tardivement plus aimable. Demain, Pierre Bérégovoy rencontrera Charles Fiterman ; un radical et un PSU se joindront à eux.
Trois heures de retrouvailles qui n'effacent pas six mois d'empoignade.
En réalité, maintenant, peu importe le texte. Mauroy, presque furieux, dit tout haut : « Tout de même, on aurait dû faire tout cela en septembre dernier, aujourd'hui c'est bien tard ! »
Les communistes s'esclaffent. Sans vergogne, avec un cynisme total. C'est bien cela : ils voulaient l'échec de la gauche. Ils l'ont.
Pierre Mauroy ne me cache pas, dès que la meute des journalistes est partie, que la victoire de la gauche est bien compromise. Mais il a le temps devant lui, il est plus jeune que Mitterrand, je sens bien que cela le console.
14 mars
Coup de téléphone de Maurice Faure ce matin. Il me résume très clairement, à son habitude, la situation : « Le Parti communiste avait fait, me dit-il, quatre paris :
« 1. Ne pas arriver au pouvoir,
« 2. Réduire l'écart entre le PS et le PC,
« 3. Abattre Mitterrand,
« 4. Ne pas perdre de plumes.
« Eh bien, ils ont réussi leurs quatre paris, tandis que Mitterrand a perdu tous les siens ! »
Il ne jubile pas, car cela ne le surprend pas : il me dit une fois de plus ce qu'il pense vraiment (de ce côté, il a de la constance) : « Il y aura toujours au dernier moment des électeurs qui “lâcheront” la gauche, car ils ne veulent pas de ministres communistes au gouvernement. »
Il conclut : « Giscard ne gagne que dans la mesure où la gauche n'a pas gagné, mais il est, dans ce cas, et contrairement à ce qu'il espérait, condamné à gouverner avec Chirac. »
19 mars , deuxième tour
Ainsi donc, le deuxième tour s'est achevé en catastrophe pour la gauche 20 : François Mitterrand est le grand perdant. Il apparaît ce soir que les communistes, d'un bout à l'autre de la campagne, ont imposé leur loi. Et qu'il n'a rien fait pour les empêcher de le faire, sûr que le Parti socialiste les écraserait.
Il faut entendre le déchaînement des uns et des autres sur les plateaux de télévision et de radio, dès hier soir. Chacun, à gauche surtout, y est allé de son commentaire : « François Mitterrand n'est plus l'homme de la situation », a dit Gilles Martinet. Et comment Michel Rocard s'est débrouillé pour tirer dans l'instant même les marrons – pauvres marrons ! – du feu. Il a dit tout haut, dès 22 heures, dimanche, ce qu'il m'avait déclaré la semaine dernière. La gauche de Mitterrand, la gauche du Programme commun est « archaïque » ; c'est cela qu'elle paie aujourd'hui. « Il n'y a pas de fatalité de l'échec », a-t-il martelé, comme si Mitterrand était, avec sa stratégie d'union de la gauche, la seule fatalité dont la gauche devait se débarrasser !
Jacques Delors, le moraliste, a ce mot que me rapporte Danièle Molho, du Point : « Ceux qui ont fait cette union absurde devront rendre des comptes ! »
Une nouvelle fois, dix ans, DIX ANS après 1968, Mitterrand est au fond du trou. Je n'ai pas entendu, dans cette période, Rocard mettre en cause publiquement la stratégie du Programme commun : il a rallié le Parti socialiste en 1974 21 en toute connaissance de cause, il a suivi le mouvement tant qu'il croyait la victoire possible. Pourquoi tous n'ont-ils rien dit ? N'osaient-ils pas assassiner Mitterrand ? N'osaient-ils pas parce qu'ils en avaient peur, ou parce qu'ils en attendaient quelque chose ?
Tout de même, quel bouleversement politique ! La victoire de la gauche était attendue, sinon espérée. Tout le monde politique ne parlait que de cela depuis plusieurs semaines : comment Giscard ferait-il pour rester à l'Élysée, quelles seraient les relations entre le futur Premier ministre et le chef de l'État ? Combien de sondages n'ont-ils pas été dans ce sens ? Combien de lignes n'ont-elles pas été écrites ? Combien d'interviews des uns et des autres recueillies ?
21 mars
En fait, Pierre Mauroy me raconte qu'il est hors de question pour le moment de trouver un autre candidat que Mitterrand pour la présidentielle de 1981. Michel Rocard, c'est vrai, a pris date dès le 19 au soir. Il est loin cependant d'avoir la majorité
Weitere Kostenlose Bücher