Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
question que de sa succession. Oh, peut-être pas pour tout de suite : pour dans quelques mois. En tout cas, pour la future élection présidentielle prévue en 1981. Lui-même, paraît-il, lors du séminaire qui a réuni la direction du Parti à Suresnes, avant l'été, avait parié publiquement, en défiant ses troupes, sur le nom de son successeur : « Deux sont possibles, a-t-il dit, Mauroy ou Rocard. »
Pour Georges Marchais et le Parti communiste, évidemment, le verdict est encore plus noir. La moitié des communistes pense que le PC est encore plus touché par sa défaite aux élections que le PS. L'avantage de Marchais sur Mitterrand : personne ne prononce le nom de son successeur. Et les communistes ont, comme toujours, le réflexe de se serrer les coudes lorsqu'ils sont menacés, contrairement aux socialistes qui en profitent pour se diviser davantage.
Tout le temps que j'écris mon article, je pense à la façon dont Mitterrand prendra mon analyse féroce lorsqu'il lira le journal.
C'est mon métier 47 .
8 septembre
Comme toujours lorsqu'il est sur le bord de la route, qu'il y soit contraint ou qu'il l'ait choisi, Mitterrand publie L'Abeille et l'architecte , qui sort la semaine prochaine. Une somme de ses réflexions quotidiennes de 1975 à 1978, dont la plupart ont été publiées dans L'Unité et dont quelques-unes, les dernières, sont inédites.
À ce propos, je me rappelle le nombre de fois où Claude Estier 48 s'est arraché les cheveux lorsque Mitterrand, dont il attendait la copie, tardait ou corrigeait interminablement son texte, inaccessible aux supplications de rédacteurs en chef qui craignaient un bouclage trop tardif pour que le journal puisse être distribué dans les kiosques. Certes, les lecteurs sont toujours trop rares, encore faut-il qu'ils ne se cassent pas le nez au moment d'acheter leur journal !
Le Mitterrand de L'Abeille et l'architecte est moins serein, on l'imagine, que celui qui avait écrit, il y a déjà trois ans, La Paille et le grain . Il faut dire qu'entre-temps, il y a eu l'éclatement de 1977 et la défaite de 1978. Il l'explique essentiellement par le rapport des forces : le PC ne voulait pas d'un PS plus puissant que lui. Il s'y décrit comme « incapable de s'arrêter sans avoir épuisé les réserves de [sa] volonté », n'abandonnant « au hasard que la part qui lui revient ».
« Est-ce jouer encore ? » s'interroge-t-il.
12 septembre
Giscard reçoit une fois de plus quelques journalistes à 18 h 30, détendu et serein. Extraordinaire tour d'horizon de quelqu'un qui n'est plus seulement « gadgétisé » mais qui atteint enfin une autre dimension.
Il parle d'abord de Jimmy Carter : le président américain s'est, selon lui, lancé dans une impossible affaire, celle de Camp David, d'où sa popularité sortira en guenilles. Après tout, dit-il, c'est normal. « Il m'a fallu onze ans avant d'être président de la République. Encore en savais-je à peine assez ! Le système politique américain crée des hommes politiques médiocres, et cela ne changera pas dans les prochaines années ! »
Il dessine deux zones de guerre dans le monde : non pas l'URSS, mais l'Asie du Sud-Est, et la zone des produits pétroliers. L'URSS a intérêt à mettre les pouces avec l'Europe, car le plus gros de ses troupes campe sur la frontière chinoise, et Brejnev désire qu'il y reste.
Sur l'Europe : l'Angleterre, affirme-t-il, est définitivement dans la zone d'attraction américaine. « Avez-vous déjà vu, interroge-t-il, un Premier ministre, Callaghan, aller en week-end à Washington et s'y promener sans se faire connaître ? Eh bien, c'est ce qui vient de se passer ! »
« En revanche, assure-t-il, l'Allemagne est tout à fait décollée de l'Amérique. Deux faits l'en ont considérablement éloignée. Le premier touche à la bombe à neutrons : Helmut Schmidt a été prévenu la veille qu'elle ne serait pas entreposée en Allemagne. Difficile à pardonner. Et puis, l'Allemagne sait aujourd'hui qu'elle a, avec la France, le leadership européen. La Grande-Bretagne aurait pu l'avoir, elle ne l'a pas. »
L'Afrique, maintenant. Les années 1977-1978, bon an mal an, ne se sont pas trop mal passées : l'intervention française au Zaïre, quoi qu'on en ait dit, a bel et bien empêché l'effondrement de l'Empire centre-africain. Et c'est une bonne chose, d'autant plus que Mobutu a pu se réconcilier avec Agostino Neto, le président
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