Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
la majorité, il est résolu à employer un langage de vérité. Dès son entrée en scène, égal à lui-même, il confie à quelques-uns d'entre nous : « Ne comptez pas sur moi pour faire le joli cœur. Corneille, c'est bien, mais moi, je préfère Racine ! »
Il prononce un discours d'une brutalité inouïe, qui laisse sans voix les pauvres députés UDF que son langage stupéfie. Pas question d'augmenter le SMIC plus que ne le veut la loi. En revanche, il est question de revenir sur le taux d'indemnisation des chômeurs. À ceux qui lui parlent problèmes des petites entreprises, crédits bancaires trop difficilement accordés, il répond rigueur nécessaire, assainissement, stabilité, compétitivité ! Il répète avec une évidente satisfaction : « Je ne laisserai pas les choses aller, je serai inflexible ; pas question de laisser un jour à mon successeur une situation catastrophique ! »
Florilège du Premier ministre :
« La France est économiquement sous-développée et socialement sur-protégée. »
« Bien sûr, il y a des problèmes de société, mais il faut éviter d'abord l'effondrement ! »
« Il ne s'agit pas de vivre mieux, de gagner plus. Il s'agit de sauvegarder ce que nous avons acquis en trente ans ; ce dont il s'agit, c'est la survie du pays ! »
« Il n'y aura pas de dynamique de l'assistanat pour les chefs d'entreprise : ceux-ci doivent assumer les charges qui sont les leurs, démontrer leur capacité à bien gérer leurs affaires ! »
Sur l'emploi : « Je garde, dit-il, le cœur de glace et le tempérament d'acier ! Je n'ai pas l'intention de pérorer sur l'emploi ; nous aurons à traverser une période difficile en matière d'emploi. Mieux vaut le dire ! Pas de politique de l'emploi qui ne soit d'abord une politique de vérité économique. »
Les élus sont sans voix devant ce message d'une brutalité excessive. Jean Lecanuet reprend la parole après lui et tente de rassurer l'auditoire abasourdi : « Nous devons être fiers, dit-il, d'avoir un Premier ministre courageux et lucide... »
Ayant eu dans la même journée les ouvriers de La Ciotat pour commencer, puis Raymond Barre après eux, les parlementaires présents sortent péniblement de la salle de réunion pour retrouver un soleil qui les éblouit.
Pendant ce temps-là, devant les députés RPR réunis à Biarritz, Jacques Chirac fait un étonnant tour de passe-passe. D'abord, un discours violent contre le gouvernement dont il dit qu'il fait une politique qui n'a jamais été aussi à droite sous la V e République. Veut-il la rupture ? Eh bien, pas du tout ! Il espère, dit-il, tout simplement un redressement de cette politique qu'il condamne.
Anniversaire de la V e République au début du mois
Nous nous demandons avec Alexandre Sanguinetti quels sont les changements essentiels de la V e République intervenus en vingt ans.
C'est d'abord l'élection du président de la République au suffrage universel. Et aussi, me fait remarquer Sanguinetti, les médias (il dit les mass media). « Auparavant, me dit-il, lorsqu'un député arrivait dans sa circonscription, ses électeurs lui demandaient : que se passe-t-il à Paris ? Aujourd'hui, lorsque le député arrive chez lui, c'est lui qui demande : qu'est-ce qu'on a dit à la télé ? »
4-8 octobre : Voyage présidentiel de Giscard au Brésil
Plusieurs ministres accompagnent VGE, en l'absence du ministre des Affaires étrangères retenu à Washington. Les plus importants dans le grade le plus élevé sont Alain Peyrefitte, pour amorcer des entretiens sur la coopération judiciaire, et Simone Veil, pour la coopération en matière de santé et de fabrication de médicaments, ainsi que Jean-François Deniau. Journalistes et politiques, nous sommes tous dans un grand hôtel de Brasilia, la ville qui existe grâce à Niemeyer et qui nous surprend par son côté moderne et déstructuré. Rien à voir avec une ville française : rues, maisons, hôpitaux, églises s'enchevêtrent.
En arrivant, avant le premier dîner officiel au Palacio Hamaraty (« comte » en indien, m'explique-t-on), Alain Peyrefitte, qui me reçoit à l'étage réservé aux ministres, abondamment sécurisé et surveillé, me dit que « Giscard vient ici pour montrer la voie. Les Français ne s'expatrient pas, les hommes d'affaires ne font pas assez d'efforts. Vous savez ce que me disait Zhou Enlai ? Pourquoi, m'a-t-il demandé, vos hommes d'affaires
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