Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
qu'elle disparaisse.
Il parle de la prochaine élection de l'Assemblée européenne, prévue pour 1979 : « Je suis sûr qu'il faudrait que les gaullistes fassent campagne en disant : nous sommes les premiers Européens, les seuls, les vrais. Mais cela exclut la possibilité de laisser Michel Debré prendre la tête de la liste RPR ! »
Je lui demande si c'est ce que Jacques Chirac a laissé entendre à Debré : lui a-t-il dit qu'il n'était plus l'homme idéal pour être le chef de file pour l'élection à Strasbourg ?
Chaban ne me répond pas. Manifestement, il déteste tellement Chirac qu'il ne veut même pas en entendre parler.
Dans l'après-midi, Claude Labbé me raconte la rencontre que Chirac et lui, en tant que président du groupe parlementaire, ont eue le mardi 5 avec Giscard. Il se demandait comment les choses allaient se passer alors que Chirac, par trois fois, la semaine précédente, avait dit non à Giscard 44 .
Au surplus, trois jours avant, au moment où l'avion de Giscard d'Estaing quittait l'Espagne, Chirac, depuis Castelnaudary où il haranguait ses troupes, parmi lesquelles de très nombreux paysans, a condamné l'entrée de l'Espagne dans le Marché commun alors même que le président de la République venait de dire tout le bien qu'il en pensait 45 .
On imagine que Labbé était dans ses petits souliers lorsqu'ils sont entrés tous les deux dans le bureau de Giscard. Mais ces grands animaux politiques sont imprévisibles : Giscard était, paraît-il, souriant derrière son bureau, et Chirac moins nerveux que d'habitude.
Pendant le premier quart d'heure, Valéry Giscard d'Estaing a parlé de politique étrangère, des États-Unis, du Japon, du tiers-monde. Puis, à la demande de Chirac, il parle économie. Jacques Chirac se déclare partisan d'une relance. C'est ce qu'avait fait, dit-il, Giscard en 1975 ; il n'avait pas eu à s'en plaindre. Giscard répond que cela ne lui paraît pas la bonne chose à faire. « Ce qui est important, dit-il, est la tenue de la monnaie. »
Jacques Chirac : « Les Français s'en moquent, du franc ! En revanche, ils ne se moquent pas du chômage !
– Mais non, les Français ne se moquent pas du franc ! » répond Giscard avec une pointe d'irritation.
Claude Labbé a fait alors remarquer que les députés de la majorité lui paraissaient très sensibles non seulement à la crise de Boussac-Textile, mais aussi aux difficultés des petites entreprises, qu'il décrit comme à bout de souffle.
Giscard écoute, acquiesce parfois. Pendant les quarante-cinq minutes que dure l'entrevue, le climat, selon Labbé, a été aimable, serein, courtois, mais rempli d'irréalité. Comme si Jacques Chirac, fourbu par la bataille, avait décidé de ne pas ouvrir les hostilités.
En réalité, l'essentiel de ce que voulait me dire Claude Labbé a trait à Chirac. Il se plaint de ce que celui-ci apparaisse trop souvent comme l'« homme du non » : « Non à tout, non à l'Espagne, au Portugal et l'Europe ! Je l'ai dit à Chirac, l'autre jour, à l'occasion de la réunion du bureau politique du RPR ! »
Il m'assure qu'il ne veut pas s'opposer à Chirac, ni paraître s'opposer à lui, mais que, tout de même, les parlementaires RPR sortent d'une période électorale difficile. « Or, que se passe-t-il ? Ils se font engueuler par leurs électeurs qui leur demandent ce que fait Chirac, ce qu'il veut, et le trouvent inutilement brutal. Oui, conclut-il, les députés gaullistes sont aujourd'hui perturbés ! »
Alors, sont-ils prêts à passer à l'UDF ? Non, Labbé, qui les connaît bien, ne le croit pas. Il ne décèle aucune tentation vers l'UDF. « Non, tout simplement, les députés souhaiteraient que le président du RPR soit plus habile, plus nuancé, qu'il ne donne pas le sentiment d'être une sorte de don Quichotte ! »
Et puis – il insiste là-dessus, et je pense en effet qu'il a raison – les troupes RPR sont unitaires. Elles ne veulent pas que les relations internes à la majorité se détériorent : avec l'UDF, certes, mais aussi avec le CDS et les réformateurs. Ils ne comprennent pas qu'on les oppose par déclarations interposées.
Je comprends à ces propos que le RPR traverse, à sa manière, la même crise postélectorale que le Parti socialiste. Ceux qui, des deux côtés, ont conduit la bataille et l'ont perdue sont remis en question par leurs troupes. Chirac à peine moins que Mitterrand.
Comme on le murmure avec
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