Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
ne fréquentent-ils en Chine que les antiquaires ? Je lui ai répondu : eh oui, c'est aussi cela, le mal français ! ».
Pendant le dîner, l'orchestre a joué du Mozart et du Villa-Lobos, du Haydn et du Guerra-Peixe : façon de réaliser le mariage des styles musicaux.
Giscard, reçu à l'Assemblée nationale brésilienne le 5 au matin, a d'ailleurs quelques phrases bienvenues sur la diversité brésilienne. Il dit : « Dans un monde où l'hostilité et parfois la haine raciale constituent une tare encore trop répandue, l'harmonie fraternelle de la société brésilienne constitue un exemple. »
Saõ Paulo, Rio de Janeiro, Copacabana, Manaus avec son opéra en pleine forêt amazonienne. Le voyage s'achève : Giscard donne sa conférence de presse alors que nous sommes presque sur le départ. Il tient des propos assez convenus sur la démocratie, les grands équilibres mondiaux, puis, interrogé sur les événements du Liban 51 , il devient plus grave : il fait part de sa profonde émotion à ce sujet et juge que la communauté internationale doit mettre à profit la courte pause qui s'annonce après le cessez-le-feu pour ramener l'ordre et la cohésion au Liban.
10 octobre
Que je revienne vite sur les quelques révélations de plus ou moins d'importance que m'a faites Peyrefitte pendant ce voyage.
Son ton à l'égard de Giscard : il est très admiratif, de son talent, de son éloquence, mais ne l'aime pas. Il raille devant moi son côté Louis XV, etc.
Sur de Gaulle et la pilule : le Général a longtemps refusé la « pilule » : « Peyrefitte, lui avait-il dit lorsque ce dernier avait pour la première fois évoqué le sujet devant lui, il faut réfléchir avant de parler ! » Puis il l'a acceptée : « On ne peut pas lutter contre son temps ! », tout en refusant un éventuel remboursement par la Sécurité sociale : « Pourquoi pas les voitures ? » avait-il gouaillé.
Il n'est ni tendre ni critique vis-à-vis de Barre : il n'en dit pas un mot.
Il me parle plus longuement, en revanche, de l'espèce de consanguinité qui existe entre la classe politique et les journalistes : « Regardez, me dit-il ; il s'agit d'une toute petite sphère de dirigeants : vous, je vous connais depuis quinze ans ; Simone Veil et Jean-François Deniau se connaissent depuis Sciences Po ! »
Curieux homme qui sait tout, a tout vu et beaucoup lu. Il écrit sur tout, inlassablement, d'une petite écriture fine, sur les menus, les programmes de spectacles, les papiers qui traînent.
Du coup, je lui reparle de mes cahiers et de ma manie d'y consigner chaque soir les événements de la journée. Il réalise que je vais, ce soir, rédiger quelques lignes sur lui. Cela lui fait peur. Il ne me dit plus rien.
11 octobre
Importante rencontre avec Pierre Hunt. Il ne cache pas que le style de Raymond Barre, celui des journées parlementaires UDF surtout, déconcerte un peu tout le monde, y compris ses proches collaborateurs, et d'abord Philippe Mestre 52 lui-même qui est venu, hier, l'interroger sur la conduite à tenir.
L'impression de Pierre Hunt est que Barre est en observation, que le Président lui a demandé d'assouplir un peu sa façon de présenter les choses : il ne parle pas à des économistes, mais à des gens qui n'ont que peu de connaissances en économie politique. « Je pense, dit Hunt, que cette mise en garde a été entendue ! »
« Pourtant, poursuit-il, il y a une quinzaine de jours, lors d'un Conseil des ministres, Barre a été pris d'une colère subite, comme quelqu'un de très fatigué ; il a fait une scène inouïe sur un sujet que je ne peux pas vous révéler. Ce n'était pas le sujet qui posait problème, mais sa façon d'en parler. Mais, chose curieuse, j'ai surpris dans les yeux de Giscard une lueur d'attendrissement, comme on peut en avoir à l'égard de quelqu'un que l'on sait crevé et qui se met à délirer. » Il conclut assez drôlement : « On ne croit jamais que les gros aussi ont leurs nerfs ! »
Il n'éprouve pas pour Giscard la sorte d'affection qu'il avait pour Chaban-Delmas il y a quelques années. « Chaban, explique-t-il, aurait eu la capacité de fédérer une équipe, d'écouter les avis de l'un ou de l'autre de ses proches en leur disant : Oui, vous avez raison, c'est ce qu'il faut faire ! Au contraire, Giscard ne rend jamais hommage à un collaborateur pour ce qu'il dit, écrit ou fait : il récupère pour son profit personnel
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