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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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un de ses conseillers, Francis Gavois, qui assiste au déjeuner, il faudrait le renouveler ! » « D'ailleurs, ajoute Barre, les députés rogneraient les ailes de tout projet dans ce sens. Bien sûr, on exonérerait les résidences principales, et aussi la première résidence secondaire ! Le calcul des fortunes commencerait à la deuxième résidence secondaire ! »
    Bref, les Français sont des veaux. Même pour la peine de mort, il n'y a pas de majorité dans le pays : « L'opinion publique est contre, alors ne posons pas la question : elle est incongrue. »
    Bref, il faut faire avec. Ce qui veut dire : ne pas proposer de réformes trop brutales, « sinon ce sera l'explosion ! ».
    « Réduire le niveau de vie ? C'est insupportable aux Français. Et avec une opposition qui ferait de la démagogie, ce serait faire basculer les Français dans l'opposition. Donc, aboutir à l'inverse du but recherché. »
    À propos d'opposition, que pense-t-il de Rocard ? « Il a de bons réflexes, comme sur le SMIC à 2 400 francs, qu'il a tout de suite dénoncé. » Sur le reste, il trouve que Mauroy serait un meilleur candidat de gauche à la future présidentielle.
    Et Giscard, dans tout cela ? Il va bien, merci.
    Conclusion de Raymond Barre : « Que ce soit moi ou quelqu'un d'autre, on y passera. L'austérité sera pour tous si mon plan ne marche pas ! »
    Nous sortons du déjeuner prostrés !

    2 novembre
    Voyage de Raymond Barre à la Réunion. Il parle du lycée qui porte le nom d'un de ses poètes préférés, Leconte de Lisle, natif de l'île, qu'il cite : « À quoi bon se troubler de choses éphémères, / à quoi bon le souci d'être ou de n'être pas !... »
    Puis il évoque sa jeunesse : il est resté à la Réunion jusqu'en 1943, année où il s'est engagé dans la France libre. « Nous vivions alors sur l'île avec quarante ans de retard sur la métropole ; aujourd'hui, il n'y a plus que vingt ans de décalage ! »
    Il a été au lycée avec le maire de Saint-Denis de la Réunion. Nostalgie : « Nous avons passé notre jeunesse à arpenter les sentiers ! » Le maire avait trois ans de plus que lui, il allait donc au grand lycée, tandis que le petit Barre, lui, était au petit lycée : « Un établissement napoléonien où l'on portait l'uniforme avec des palmes sur les revers. Culottes courtes pour les petits, pantalons longs et blancs pour les grands. »
    Il a fait son service militaire comme artilleur : il a failli mourir parce qu'un de ses camarades n'a pas compris un ordre et qu'il a visé à 180° de la cible. Il dit sans sourire : « Il a failli priver la France d'un de ses futurs Premiers ministres ! »
    Nous voici donc à la Réunion. Étonnant Barre. À peine arrivé dans l'aéroport, il lance à un pauvre producteur de sucre qui n'en peut mais : « Je vous dis que cela va saigner, et cela saignera ! » – et il réclame silence, sur quel ton, à ceux qui l'acclament dans le salon d'accueil !
    Drôle de voyage. J'y découvre, comme tous mes confrères, deux Raymond Barre bien différents. Le premier Barre, nous, les Français de métropole, nous ne le connaissions pas. Et ce n'est pas ma dernière conversation avec lui à l'hôtel Matignon qui m'a donné l'occasion de le connaître. Il est chaleureux, gai, saluant ses anciens camarades de lycée en disant : « Salut, mon vieux, comment ça va ? », se jetant dans la foule, à Saint-Denis de la Réunion, pour serrer quelques mains sous un soleil éclatant.
    Celui-là, je le découvre. Il n'était jamais revenu dans son île natale depuis qu'il est Premier ministre, et manifestement il se sent ici chez lui. Embrassé par sa mère, sa sœur, des tas de neveux et nièces qui n'ont jamais quitté la Réunion.
    Mais je vois également, depuis que je suis ici, un deuxième Raymond Barre auquel nous sommes davantage habitués, il faut bien le dire. C'est celui qui a commencé hier la campagne pour l'élection à l'Assemblée européenne au suffrage universel, sur les écrans de la télévision réunionnaise, en mettant en garde la majorité contre ses divisions. L'unité de la construction européenne, oui. « Ce qui ne veut en aucune façon dire qu'il s'agit de dissoudre la France dans l'ensemble européen », ni « de renoncer à son indépendance », a-t-il ajouté.
    Inutile de dire que ces propos ont pris une coloration particulière parce qu'ils ont été prononcés dans le fief électoral de

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