Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Michel Debré, bien obligé d'être là, puisque député de l'île, au supplice devant les propos du Premier ministre.
Deux Barre, donc : le patelin, le local, et l'autre, le dogmatique, qui n'a pas hésité à infliger inutile camouflet sur désaveu brutal à l'un de ses prédécesseurs à Matignon et pas n'importe lequel, Michel Debré, le père de la Constitution de la V e République, le premier Premier ministre du général de Gaulle. Une poignée de main hâtive, visage détourné, sourire contraint, à l'école de Sainte-Marie, le samedi à 8 heures du matin. Une heure plus tard, à Saint-André, il lui a demandé, montrant de la main les constructions ébranlées du village : « Eh bien, c'est votre œuvre, tous ces bidonvilles ? »
Il est certain que le contentieux entre les deux hommes ne date pas d'hier. Le 26 octobre, Raymond Barre a pris violemment parti contre Michel Debré dans les colonnes du Progrès de Lyon 53 , et Debré lui a répondu vertement.
Et puis, entre les deux hommes, il y a bizarrement une divergence économique que je n'attendais pas, tant tous deux prônent depuis des années la rigueur et l'effort.
Je rencontre Michel Debré dans la grande salle de l'hôtel de Saint-Denis, au bord de la plage, pendant que Raymond Barre, à une centaine de mètres de là, est reçu en préfecture. Pauvre préfet, d'ailleurs : je l'ai vu ce matin, il m'a laissé comprendre que rien n'était pire pour un préfet que d'être déchiré entre le Premier ministre et l'élu de son département. Il s'en souviendra longtemps, lui, de ce voyage !
Je demande à Debré ce qui véritablement aujourd'hui le sépare de Barre. Presque tout. Debré réclame le retour à l'équilibre des finances publiques, la relance de l'investissement par un prélèvement conjoncturel sur les fortunes. Raymond Barre, en réalité, ne supporte pas d'être contesté dans le domaine où il a la certitude d'être le meilleur. Et puis, en arrière-fond, il y a surtout le sentiment hostile que nourrit Barre non pas contre Debré, mais contre Jacques Chirac lui-même. Ce n'est pas en pensant à Michel Debré, en effet, qu'il a dénoncé, devant la foule bigarrée de Saint-Joseph, « ceux qui s'en vont à la pêche aux voix comme d'autres vont à la pêche aux moules » !
12 novembre
Congrès extraordinaire du RPR.
La réunion du congrès a été précédée de multiples conciliabules au sein du RPR. Cela a commencé le mercredi 8 entre Couve, Debré, Chirac, qui, ensemble, ont refusé une motion, apparemment conciliante, d'Yves Guéna. Chirac s'engage à rédiger le mercredi une nouvelle motion que conteste alors Michel Debré avant de tomber d'accord, en fin de journée du samedi, avec le texte et le discours préparés par Chirac. Tout a donc été réglé entre eux avant la première journée.
Dans la salle, le chanteur Philippe Clay, le comédien Pierre Dux, mêlés à Maurice Couve de Murville, Maurice Schumann, Maurice Druon, Jean Foyer, Jean de Lipkowski, etc. Lorsque j'arrive, Michel Debré est en train de parler en opposant l'Europe-alibi, celle d'une construction technocratique, en d'autres temps, celle de la Communauté européenne de défense 54 , et l'Europe des grands desseins, celle des grands projets, des grands exploits, des grandes ambitions.
Olivier Guichard lui succède, suscitant, dans cette atmosphère chauffée à blanc contre l'Assemblée européenne, un beau chahut. Il ne craint pas de donner des verges pour se faire battre et propose à la salle un protocole européen de toute la majorité. Dans la salle, j'entends un « Ta gueule ! » hurlé depuis le vingtième rang. C'est le premier – et d'ailleurs le seul – orateur hué.
Le discours de Jacques Chirac, dimanche matin, est au contraire très applaudi. Quelques belles phrases ciselées, qu'il lit comme d'habitude avec gaucherie, rendent compte à mon avis assez bien de ce que pensent la plupart, sinon la totalité des congressistes.
Je résume vite le discours de 48 pages qu'il prononce à la tribune : un texte très réticent sur la construction européenne proposée par le chef de l'État. L'Europe existe, mais une étude approfondie du débat européen fait apparaître trois types de contradictions « de nature à compromettre la pérennité de l'œuvre entreprise ». Bref, un diagnostic sans indulgence, car il souligne, comme Michel Debré le dit le plus souvent : « Qui peut vraiment douter que l'Assemblée
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