Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
investie de l'autorité que confère inévitablement l'élection au suffrage universel direct ne tentera pas de s'arroger les droits et prérogatives d'un Parlement de plein exercice anticipant en somme sur l'Europe fédérale ? »
Tout est dit. Je suis incapable de connaître l'intime conviction de Chirac sur les questions européennes. Certes, il n'est pas fédéraliste, il souhaite limiter l'entrée de nouveaux pays européens, il est hostile à une organisation supranationale. Mais il a aussi une raison beaucoup plus politique de traîner les pieds devant les propositions européennes de Giscard : c'est que, là-dessus, le RPR est profondément divisé. Il doit surtout tenir compte de la position de Michel Debré qui galvanise autour de lui le clan des gaullistes hostiles à tout ce qui peut empiéter sur les droits des États-nations.
13 novembre
J'essaie, en terminant ce cahier, de noter les événements de cet automne que j'aurais oublié de consigner.
Concernant le PS, d'abord. Pierre Mauroy m'a raconté jeudi après-midi l'histoire de la lettre de Mitterrand aux militants. Il s'agit de cette missive demandant aux militants s'ils approuvent la création d'un quotidien socialiste. Pour Mauroy, il s'agit de bien autre chose : d'un plébiscite. Il pense que cette lettre a été imaginée pour emmerder Rocard et lui, Mauroy. Mais Mauroy, lorsqu'il en prend par hasard connaissance alors que Mitterrand ne lui en a pas parlé, s'y oppose, car il pense que le PS a mieux à faire que lancer un quotidien, et qu'il vaut mieux faire avec ce qu'on a : l'hebdomadaire L'Unité . Accrochage très vif, donc, le mardi 7 novembre, au bureau politique réuni exceptionnellement à Lille. « Si vous voulez un système présidentiel dans le parti, dit Mauroy, entourez-vous d'un cabinet et gouvernez par ordonnances ! »
Jamais je n'aurais pensé que les relations entre Mitterrand et Mauroy se dégraderaient à ce point-là. Cela ne me paraissait pas possible depuis 1971. Qu'il y ait chez Mauroy tant d'indignation, qu'il soit capable de tant de détermination, c'est à vrai dire ce qui m'étonne le plus.
Ce que je n'ai pas noté sur Raymond Barre (c'est Philippe Mestre qui me le raconte) : lorsque Barre est venu l'autre jour salle Colbert devant le groupe, les députés RPR lui ont fait une ovation que Chirac a fait mine de ne pas remarquer, feuilletant son journal tout le temps que le Premier ministre a fait un tabac.
De la même façon, au déjeuner du bureau du groupe RPR, le 9 novembre, Barre a émis une vigoureuse protestation : « Vous faites deux poids, deux mesures, a-t-il dit. Lorsque Chirac dit n'importe quoi contre moi, lorsque Michel Debré publie des articles dans Le Figaro , alors je dois encaisser. Mais lorsque c'est moi qui proteste, tout le monde crie. Exemple : Pierre Charpy 55 m'éreinte tous les matins, et personne ne trouve à y redire. »
Et les députés RPR de protester : « Nous ne sommes pas d'accord avec Charpy, il ne nous représente pas du tout ! Mais on ne peut rien faire contre lui ! »
Lâcheté des parlementaires RPR, réelle gêne devant la façon dont Chirac combat le Premier ministre, désaveu de la position européenne de Debré : les choses sont bien compliquées.
21 novembre
Nouvelle conférence de presse de Valéry Giscard d'Estaing. Est-ce parce que le RPR est divisé qu'il se présente, lui, comme recherchant l'unité de la France « forte et paisible » ? La France, c'est l'argument qu'il développe aujourd'hui, n'est pas coupée en quatre : la cassure de la gauche est approfondie ; en revanche, les deux formations de la majorité, insiste-t-il, sont l'une et l'autre nécessaires à la majorité.
Il soutient fortement Raymond Barre avec cette phrase que je n'ai jamais entendue dans sa bouche et qu'il me paraissait incapable de prononcer : « M. Raymond Barre est certainement un des meilleurs Premiers ministres que la France ait eus depuis longtemps. Son nom restera au nombre de ceux qui ont rendu service à la France. »
L'assistance prend comme il convient cet hommage présidentiel.
Pour le reste, l'Europe est le plus gros morceau. Giscard annonce qu'il rencontrera les dirigeants de la majorité et de l'opposition sur la construction européenne. Il souhaite pour sa part que l'organisation de l'Europe soit confédérale – « dans laquelle personne ne puisse imposer sa volonté à personne ! » –, que la France soit la première à
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