Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
soutenir l'élargissement à l'Espagne, au Portugal et à la Grèce. Mais il se gardera, dit-il, d'indiquer le « bon choix » pour l'Europe.
1979
1 er janvier
Pierre Mauroy m'a longuement raconté, le 29 décembre, à Lille où je suis allée le voir (j'ai eu droit au beffroi, à la vieille ville en cours de restauration), ce qui s'est passé et pourquoi il a semblé se rapprocher de François Mitterrand à qui l'appel de Cochin m'a empêchée de penser ces dernières semaines. Il est en même temps furieux que les conventionnels en aient immédiatement profité pour pavoiser.
En fait, il a accepté de négocier avec Mitterrand sur une partie du discours que celui-ci doit prononcer au prochain congrès de Metz, en avril prochain, et qui est dès à présent en discussion, mais pas sur l'intégralité. En outre, les quatre textes que Mauroy avait préparés avec Michel Rocard restent sur la table.
Il dira donc mercredi au bureau exécutif que la synthèse lui semble possible : « Si vous n'en voulez pas, ajoutera-t-il, je ferai, moi, ma propre contribution. »
Apparemment, aujourd'hui, il n'a pas très envie, malgré l'irritation récente qu'il éprouve parfois vis-à-vis de François Mitterrand, d'aller à la bataille contre lui.
Michel Delebarre, son tout jeune directeur de cabinet, qui vient du Midi, et moi, nous lui conseillons de ne pas parler de synthèse. Sans trahir Mitterrand, je sais en effet qu'il a dit à Maurice Faure, hier ou avant-hier, ironique : « Mauroy veut la synthèse parce qu'il ne sait pas choisir ! »
Puis je comprends, à un membre de phrase, qu'en réalité Pierre Mauroy, quoi qu'il en dise, a été eu, sentimentalement « eu », par Mitterrand. Comment cela ? Il a suffi à Mitterrand de lui dire simplement, en pleine discussion entre eux deux : « Écoutez, comprenez-moi, je ne peux pas reprendre mes textes, je suis le premier secrétaire du Parti. Alors, aidez-moi ! » Mauroy en a été, convient-il, ému.
Cette émotion n'a pas été perdue pour tout le monde, notamment pas pour Mitterrand et les conventionnels.
Mauroy fait tout de même une analyse un peu plus politique, moins personnelle, de son rapprochement avec Mitterrand : « Je ne peux tout de même pas me désolidariser, finit-il par me dire, de cette politique d'union de la gauche que j'ai suivie pendant sept ans. Ce serait me fusiller ! Michel Rocard le peut, moi pas. »
2 janvier
Vu Gilles Martinet, qui m'en dit plus long sur le rapprochement Rocard-Mauroy. Il est, lui, plus proche de Rocard que de Mauroy, et se lance dans un récit jour après jour de leurs contacts, qui existent en réalité depuis plus d'un mois. Je résume : c'est le 12 décembre que Le Pensec, Dominique Taddéi et Gilles Martinet ont rencontré Mauroy officiellement pour la première fois.
Le 19, rencontre Rocard-Mauroy, qui tombent d'accord sur quatre textes, différents, donc, de ceux de Mitterrand. Ces textes sont tapés dans la nuit de sorte que le 20 ils sont soumis au nouveau bureau exécutif.
D'entrée de jeu, au bureau politique, Gaston Defferre, qui n'a été tenu au courant de rien par les deux conjurés, s'inquiète : « Je demande, dit-il, les noms des camarades qui ont rédigé ces textes. »
On lui donne les noms.
Le maire de Marseille reprend la parole : « C'est un fait politique grave. Nous devons faire un effort pour maintenir l'unité de la majorité du PS. Cet effort doit se faire autour du premier secrétaire.
– Je ne demande rien », lâche Mitterrand, laconique.
On se sépare. Déjeuner fractionnel au premier étage du 98, rue de l'Université, où les rocardiens ont élu permanence : autour de Michel Rocard et de Mauroy, il y a là la plupart de leurs proches, du très rocardien Christian Blanc à la plus proche collaboratrice de Pierre Mauroy, Marie-Jo Pontillon. Mauroy dit qu'il est résolu à accepter certaines parties du texte de Mitterrand qui datent du mois de juillet précédent, mais pas les plus récentes qui datent du 25 novembre.
Les rocardiens se rangent à son avis.
La séance reprend dans l'après-midi, sans Michel Rocard qui laisse ses lieutenants mener la charge. Mitterrand prend les devants en retirant la première partie de son texte comme étant, il veut bien en convenir, trop polémique.
C'est Gilles Martinet qui attaque alors sur la seconde partie : « Ce qui me gêne dans cette seconde partie, dit-il, c'est que vous ne réaffirmiez que des
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