Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
vœux assez banals, quelqu'un a ajouté au feutre rouge : « Bonne année 81 ! »
Tout est dit. C'est bien de l'élection présidentielle de 1981 qu'il est d'abord question ici. Il n'est même question que de cela.
Je rencontre Christian Blanc 1 pendant que, dans la pièce à côté, Michel Rocard vient de prendre connaissance du dernier numéro de Paris Match où il apparaît dans les jardins de l'hôtel à la mode de Marrakech, la Mamounia. Grand, l'élocution facile, avec un poil d'accent méridional qui n'est pas pour me déplaire, Christian Blanc nourrit, manifestement, beaucoup d'ambitions pour Rocard. Il n'a aucun état d'âme vis-à-vis de François Mitterrand dont il ne s'est jamais senti proche. Il n'a pas non plus les scrupules de Mauroy qui doit assumer les sept ans passés au Parti depuis Épinay. Bref, il est franchement réjoui de la situation dans laquelle il voit, il me le dit d'entrée de jeu, « un premier pas vers la clarification ».
Le fait essentiel, pour lui, est que Rocard grimpe dans les sondages. Qu'il est le premier homme politique à gauche. Que les Français le classent immédiatement après Giscard et Barre dans les indices de popularité. Il dispose des analyses d'opinion d'un jeune chercheur, Jérôme Jaffré, qui, selon lui, pense que Michel Rocard est aujourd'hui le candidat le plus dangereux pour la droite : en effet, il « tient » l'électorat de la gauche classique, et, en même temps, il rencontre une large audience dans les couches non politiques : ce que Blanc et sans doute Jaffré appellent le « phénomène Rocard » crée donc une nouvelle situation à gauche et dans tout le pays.
Il me parle maintenant du Parti socialiste. Il ne sait pas bien où il en est : ce qu'il sait, en revanche, c'est que beaucoup de militants sont venus à la réunion convoquée par Rocard : « Il y a à peine dix jours, m'explique-t-il, nous avons lancé une réunion, un débat sur nos propositions : nous avions prévenu par téléphone 20 personnes environ, choisies en fonction des 200 meetings tenus par Rocard depuis trois ans. Nous attendions 2 ou 3 personnes par fédération, pas plus, c'est-à-dire en tout 200, pas plus. Il en est venu 430 : des militants que nous n'avions jamais rencontrés. C'est donc que notre capacité de mobilisation est grande, même si notre courant n'est pas structuré ! »
L'objectif de cette réunion était de savoir si Michel Rocard devait déposer une contribution pour le futur congrès d'avril tout seul ou bien avec Pierre Mauroy. Si oui, autour de quels thèmes politiques. « De l'avis général, il valait mieux envisager, si possible, une contribution commune avec Pierre Mauroy, car tous les militants sont très conscients qu'entre les deux hommes, il existe une identité culturelle : les militants de Mauroy sont peut-être plus âgés, mais, dans le Nord, le Pas-de-Calais, le Puy-de-Dôme, ils gardent une tradition ouvrière et mutualiste dans laquelle se retrouvent nos propres militants syndicaux et associatifs. Les lignes d'une force nouvelle, selon nous, passent donc par Rocard et Mauroy. »
Autre signe du courant qui traverse le PS : la rupture, dans les Bouches-du-Rhône, entre Gaston Defferre et sa fédération. « Elle se fait sur nos thèmes politiques, insiste-t-il. Sur la démocratie dans le parti. Gaston va garder Marseille avec deux tiers des mandats. Mais le tiers restant est avec nous. »
La bataille est donc lancée. Je savais que, depuis mars dernier, Rocard était en piste : il ne s'en était pas caché, au soir du deuxième tour, sur les écrans de télévision. Je savais également Mauroy plus qu'énervé par François Mitterrand, mais – comment l'écrire ? – j'éprouve un drôle de sentiment à entendre Christian Blanc, ce jeune homme, parler de cette manière-là de Mitterrand. Fini, balayé, vieux, « passé d'un discours de 1789 à un discours plus moderne... disons de 1848 » !
Rude, rude !
Reste, pour Rocard, le problème avec le Parti communiste. À entendre Christian Blanc, ce n'est pas un problème réel : « Mitterrand a scandalisé Fiterman au congrès de Nantes : il n'y aura plus jamais de confiance entre le Parti communiste et lui. C'est différent avec Michel Rocard : les communistes pensent que Rocard est dangereux, car il connaît mieux leur patois. Ils nous voient vivre les uns et les autres, et ne feront pas à Michel Rocard le procès d'une alliance potentielle avec
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