Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
principes généraux. Vous ne prenez pas en compte les éléments du changement important qui s'est produit dans le parti depuis mars dernier. Nous ne pouvons pas nous contenter de vous entendre réciter les Tables de la Loi ! »
Pour le coup, François Mitterrand commence à s'énerver : « Je ne peux pas accepter, dit-il, et je n'accepterai pas que mes textes soient mis sur le même plan que les autres. Je ne suis pas demandeur d'une synthèse, et si vous acceptez de prendre en considération mes textes, les autres – dont les vôtres – doivent être retirés. »
Tour de table. Mauroy dit qu'il est d'accord sur ce point avec Mitterrand (c'est ce qu'il m'a dit à Lille et qui est ainsi confirmé à ce moment-là de la discussion), tandis que tous les rocardiens votent contre. Mauroyistes et rocardiens prennent acte de leurs divergences, mais il se trouve, raconte Gilles Martinet, que, dans la soirée, Mauroy se rend à une réunion d'une partie de ses partisans et se fait engueuler parce qu'il est accusé d'avoir « calé » devant Mitterrand. Il se défend en disant qu'il ne pouvait tout de même pas rompre avec sept ans de mitterrandisme pour une question de procédure. Bref, Mauroy et Rocard décident de se revoir le lendemain pour déboucher, malgré tout, sur une position commune. Tandis que, de l'autre côté, Mitterrand, Jean-Pierre Chevènement et Gaston Defferre réaffirment leur alliance.
Dans l'entourage de Rocard, beaucoup souhaitent la bagarre avec Mitterrand, Christian Blanc en tête, en même temps que tous ceux qui commandent, lisent et analysent les sondages qui placent Michel Rocard au plus haut.
Le problème est qu'ils ont besoin de Pierre Mauroy pour obtenir une majorité au futur congrès de Metz. Même dans ce cas, ils ne sont pas sûrs de l'avoir. Et si personne n'a de majorité, le risque est la déstabilisation complète du Parti, sans solution de rechange.
Après la stratégie, fluctuante et difficile, il faut aborder maintenant le phénomène Rocard. La large réussite de ce dernier dans l'opinion publique est incontestable 58 . Au sein du Parti socialiste, c'est différent. « Les adhérents ne veulent pas tuer le père, convient Gilles Martinet, même s'ils ne veulent pas forcément qu'il soit candidat à l'élection présidentielle de 1981. C'est tout le problème. Rocard candidat à la Présidence de la République, pourquoi pas ? Rocard mettant dehors Mitterrand, non ! »
À cela s'ajoute, selon lui, une certaine allergie, toujours réelle, des militants et des cadres socialistes envers l'ancien PSU. Michel Rocard a certes rejoint le PS en 1974 ; nombre de ses lieutenants ne l'ont fait que beaucoup plus tard. La cassure entre les deux mouvements n'est pas oubliée. La sensibilité chrétienne est très présente chez les amis de Michel Rocard qui supportent mal, en outre, le côté monarque de Mitterrand, son style présidentiel.
Il ajoute – car il garde, en toutes circonstances et surtout vis-à-vis de ses amis les plus proches, un esprit critique aiguisé – que Michel Rocard, dans ce défi à Mitterrand, a commis beaucoup d'erreurs tactiques. Il a cherché l'accord avec Mauroy tout en disant qu'il était le seul clairvoyant, dans toute la bande, avec son refus du SMIC à 2 400 francs.
Christian Blanc le pousse à la bagarre. Il entretient les journalistes dans ce sentiment permanent de rupture avec Mitterrand. Du coup, ceux-ci n'arrêtent pas d'écrire que Rocard déposera une motion au prochain congrès, alors que sa décision n'est pas prise.
« La presse dit ce qu'elle veut, a répondu Rocard, interrogé sur ce point au cours du comité directeur.
– Fais-tu une motion ou pas ?
– Une contribution ! » a bredouillé Rocard.
La conclusion est que, comme tous les candidats à la Présidence de la République, il soigne son image plus que son programme. Son image est celle d'un homme de gauche enfin compétent. Il se sent plus proche d'un leader comme le Suédois Olaf Palme que d'un Salvador Allende. « Le hic est que cette image qu'il traîne ne plaît pas au Parti socialiste ! En fait, continue Martinet, le vrai problème est peut-être ailleurs : Mauroy, et Rocard aussi dans une certaine mesure, sont des hommes de parti, des hommes de gauche. Un candidat à la présidentielle doit au contraire dépasser les partis : il y a là tout un mode d'emploi que nous n'avons pas ! »
Mode d'emploi naturel, au contraire, à
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