Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
Giscard. Et puis ils savent très bien que, dans le Nord ou dans les Yvelines, nous sommes des militants qui travaillons à la dure, à la cogne ! »
Tout est du non-dit dans ses propos : Mitterrand n'a jamais été ni militant, ni socialiste, c'est un notable ; Rocard, lui, ne l'est pas, il est bien d'un parti populaire et ouvrier, etc.
Quoi qu'il en soit, je ne suis pas sûre, pour ma part, que les communistes ne puissent pas faire à Rocard un procès en social-démocratie. D'ailleurs, il me semble que Christian Blanc connaît moins bien que moi les communistes : l'ouvriérisme à la Serge Mallet, l'autogestion, je donnerais ma main à couper que cela leur fait davantage peur que Mitterrand et son socialisme humaniste !
Comme s'il avait deviné ce que je pense, Christian Blanc, juste avant que Michel Rocard ne nous rejoigne, insiste sur les relations avec le PC : « Il faut parvenir à affirmer notre identité et à trouver une articulation avec l'ensemble du mouvement social pour arriver à négocier en force avec les communistes, le moment venu. »
Michel Rocard arrive donc sur ces entrefaites avec des chocolats qu'il nous offre gentiment : il est léger comme une plume, papillonne, me parle de sa longue amitié pour Mauroy (« L'amitié, ça compte ! ») et d'un « vrai accord » avec lui : « Jamais un coup bas, jamais un mensonge en vingt-cinq ans. »
Les mots se bousculent dans la bouche de ce boy-scout sympathique, et en sortent à toute vitesse. Il ne s'attarde pas à faire l'analyse de la situation dont il sait que Christian Blanc vient de me parler. Il me parle de son image dans les sondages : honnêteté, rigueur économique, voilà ce que les Français lui reconnaissent. Il se lance dans une comparaison avec la voile, son sport préféré, la passion de toutes ses vacances : « En matière de parti, comme en matière maritime, ce sont les tempêtes qui font les marins. Et les tempêtes, je connais ça ! » dit-il, pensant au parti dont il vient, le PSU, naguère régulièrement balayé par des vents déchaînés...
9 janvier
Conférence de Michel Debré par un froid polaire, où chacun arrive en glissant sur les trottoirs verglacés. Il est là, comme un novice, costume gris rayé, chemise bleue. Le ton est trop incantatoire, le propos ambitieux. Je le résume : « Il existe, dit-il, une théorie absurde qui voudrait nous faire croire que l'idée de nation est périmée ! » Et cela, au moment où « l'Allemagne réaffirme son nationalisme et sa volonté que la France disparaisse en tant que personne » !
Dans la foulée, il annonce la création de comités pour défendre l'État-nation et la République, avec pour objectif d'obtenir la révision de tous les traités supranationaux. Rien que cela ! Commission, Cour de justice, Euratom : « Le combat va être vif, dit-il. Nous avons été modérés, et donc nous n'avons pas été entendus. Nous mettons maintenant les choses au plus haut. On me dira : que cherchez-vous ? Je n'ai d'autre objet que celui de mettre nos dirigeants en garde contre une aberration. »
Les comités de Michel Debré, il l'affirme également, seront présents dans les élections nationales, législatives et présidentielles. Il est évident qu'il prend position, sans savoir exactement où en est Chirac, pour le combat dont il pense qu'il lui appartient. Est-ce à dire qu'il se présenterait contre le président du RPR à la future présidentielle ? Ou qu'il fait du forcing pour conduire la liste RPR aux élections européennes ? Je n'en sais rien. Je sais sa conviction, je m'interroge sur ses moyens.
Je recueille dans l'après-midi son interview pour Le Point . Il énumère, plus gravement encore que le matin, ses trois « J'accuse » :
D'abord la CECA : « Par ce traité, la France a transféré sa souveraineté en matière de sidérurgie. Les garanties théoriques, je veux parler des promesses de décartellisation, n'ont pas été tenues, moyennant quoi les cartels allemands se sont reconstitués, empêchant aujourd'hui toute protection de la sidérurgie française. »
Ensuite, il accuse la Cour de justice qui, « comme Carthage, doit être détruite ! », et Euratom : « On pourrait, au vu de ce traité, croire que les matières fissiles sont considérées comme des pommes de terre, d'où l'idée que la livraison doit être libérée de tout contrôle national. »
Dernière accusée, la politique de défense :
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