Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
« On voit de nouveau percer la volonté de l'intégration de la politique militaire française dans une politique européenne, reflet de la politique américaine. »
La différence avec l'appel de Cochin, c'est que Debré argumente là où Chirac se contente d'ameuter.
10 janvier
Jean Bernard 2 , professeur de médecine, me raconte, après une émission sur France Inter, ce qu'il peut dire aujourd'hui de la maladie de Georges Pompidou : Pompidou était frappé depuis 1968 par la maladie de Waldenström. Lorsqu'il s'est présenté en 1969, il se savait très probablement atteint. Sans doute, n'aurait-il pas été président de la République, eût-il pu se soigner davantage, ou mieux. Un an avant sa mort à peu près, Jean Bernard a eu une conversation avec lui : il pensait que le Président devait se soigner, passer la main. Pompidou lui aurait dit qu'il était d'accord, et puis il n'en a rien fait, naturellement !
Il s'agit donc d'une maladie du sang. Il me dit que, dans le dernier communiqué qui annonçait la mort de Georges Pompidou, c'est M me Pompidou elle-même qui avait tenu à ce que soit enlevée la mention de « maladie de Waldenström ».
10 janvier
Le Matin publie sur quatre colonnes les noms de 400 soutiens socialistes au tandem Mauroy-Rocard. Les « conjurés » n'ont prévenu personne dans l'entourage de Mitterrand.
Claude Estier me raconte qu'au cours des jours précédents, Mauroy avait assuré qu'il ne voulait pas « faire le Bottin », c'est-à-dire pas de listes fractionnelles.
Mitterrand se déclare trahi. Il s'attendait à une offensive, mais pas si tôt. Il va réagir, mais comment ?
Ça chauffe !
11 janvier
Réunion du RPR. Les plus fervents soutiens de Jacques Chirac dans ce qu'on peut appeler la bataille de Cochin ont été – c'est Jean-Marie Dedeyan, collaborateur de Michel Debré, jeune homme rapide et affûté, qui m'en fait le récit – Yves Guéna, Jean Tiberi, Pierre Messmer et Alain Devaquet.
Lucien Neuwirth a posé la question de savoir si la condamnation du « parti de l'étranger » était ou non compatible avec le fait de continuer de faire partie de la majorité. Les ministres RPR sont restés silencieux, à l'exception d'Yvon Bourges, qui, pincé, a tenu à affirmer qu'en matière de défense, il n'avait rien trahi.
Michel Debré, qui a parlé dans l'après-midi, trouve, il me le dit, que le débat a été d'un « bon niveau », à l'exception, précise-t-il, des accrochages entre ceux qui avaient soutenu Chirac et ceux que l'appel de Cochin laissait encore pantois. Il est manifestement content de l'écho qu'ont ses idées à l'intérieur du mouvement gaulliste. Chaban lui a dit qu'il avait raison sur Euratom ; Olivier Guichard, qu'« il serait toujours derrière lui contre la supranationalité ». En revanche, il ne peut pas cacher son irritation à l'idée qu'Yves Guéna ait fait un long topo de vingt minutes sans le citer !
En réalité, le fossé entre la plupart des membres du RPR et les giscardiens n'est pas seulement européen : députés, cadres et militants chiraquiens en « ont plein le dos de l'Élysée » qui ne cesse, disent-ils, de les « matraquer ».
Pour le reste, Debré pense que l'équipe Chirac, c'est-à-dire celle de ses conseillers, à laquelle se joint volontiers Alain Devaquet, est très maladroite. Ce qui donne, dans la séance d'aujourd'hui, une sorte de contradiction : sur le fond, les membres des instances du mouvement ne remettent pas en cause la présidence de Chirac ; ils jugent en revanche que, cette fois-ci, ses méthodes sont condamnables.
11 janvier au soir
Pendant que je suis restée à Paris pour juger de l'état du RPR après l'appel de Cochin, un spectacle inédit s'est déroulé à Bruxelles, spectacle que mon amie et consœur du Point , Danièle Molho, qui y était, m'a rapporté au téléphone, tout à l'heure, par le menu.
Les partis socialistes européens se réunissent pour leur dixième session. La délégation française, composée de 23 membres, est conduite par Mitterrand, Rocard et Mauroy, entourés, comme des loups, des membres de leur meute. Tandis que les autres socialistes européens défilent à la tribune, on voit, de loin, les trois chefs parler à mi-voix à leurs proches, leur envoyer des plis et attendre leur réponse.
Extraordinaire : ils ne se regardent pas ! Et ce, devant tous les militants socialistes européens qui font semblant de ne s'apercevoir
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