Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
croissante :
« Fébrilité, calcul, tout cela reposant sur une erreur fondamentale : le RPR se droitise, il le met sur un terrain en pente. Le terrain va glisser sous les pieds de Chirac, qui ne parviendra jamais à être un recours : il mise sur un clash que je n'aperçois pas. Je ne vois pas comment ni qui irait le chercher ! »
Dernière question posée par Claude Imbert – une figure imposée. Et lui, Barre, pense-t-il avoir un destin national ? Barre répond bien sûr qu'il n'a pas de problème avec le Président et que la question ne se pose pas.
12 octobre
Aujourd'hui, réunion de Pierre Juillet, Marie-France Garaud, Denis Baudoin, Xavier Marchetti, Jacques Toubon, sur l'image de Jacques Chirac. Cette réunion des principaux collaborateurs de Jacques Chirac va d'ailleurs devenir, en se tenant de façon plus régulière, une sorte d'état-major politique dont Juillet assurera la cohésion.
L'ensemble des participants tombe d'accord sur la nécessité pour lui de ne pas se laisser enfermer à la droite de l'échiquier politique national (cf. plus haut, les propos de Raymond Barre). Il est donc convenu qu'il fera un grand discours le 5 décembre prochain pour gauchiser son image. Pour avoir l'air, comme me le dit Toubon, d'un homme qui réfléchit et non d'une « force qui va ».
Il va néanmoins – c'est là que la « gauchisation » de Chirac devient plus difficile – continuer d'attaquer Mitterrand sur le thème : marxiste, dépassé, vieux, etc.
Tout cela révèle tout de même un véritable désarroi de ceux qui, dans son propre camp, ne savent pas « vendre » Chirac. L'analyse qu'ils font de Giscard, en revanche, ne change pas : il y a les hommes politiques qui bradent la France (suivez leur regard) et ceux qui ne la bradent pas, d'un côté les pétainistes, de l'autre les résistants. Air connu.
Je doute que cela suffise à changer l'image de Jacques Chirac.
12 octobre dans la soirée
Les anciens Premiers ministres de la V e République, Debré, Couve, Messmer, Chirac, à l'exception de Chaban-Delmas, ont rencontré hier Raymond Barre. Ils avaient demandé à le voir à l'occasion de sa venue devant l'Assemblée nationale pour présenter le budget 1978, afin de lui demander s'il comptait revenir (comme ils croient que le souhaite Giscard) au mode de scrutin à la proportionnelle. « Tout cela, c'est de la magouille ! » s'est fâché Raymond Barre, égal à lui-même, tout en finissant par les rassurer : on ne changera pas de mode de scrutin pour les législatives de 1978.
13 octobre
Georges Marchais, ce matin, à l'occasion du petit déjeuner de France Inter auquel je participe. Il paraît sincèrement convaincu – il l'est d'ailleurs sûrement – que les socialistes étaient prêts à le trahir. Il dit aujourd'hui non sans aplomb : « Ça ne m'étonne pas, j'en ai toujours été sûr ! Avez-vous relu mon discours au XXII e Congrès 12 ? Je disais déjà les tentations auxquelles le PS allait être soumis ! »
Je ne résiste pas à lui dire : « Mais enfin, vous auriez pu vous en apercevoir avant ! »
Je cite verbatim sa réponse : « L'union de la gauche, il y a des moments où elle progresse et puis des moments où elle recule. Eh bien, nous sommes dans un moment où elle recule. Mais rien n'est terminé ! »
Tout cela accompagné, sur l'antenne et en dehors, hors antenne, d'une grande démonstration sur le poids de la social-démocratie européenne. La discussion qui suit l'émission prend la forme d'un duel entre lui et moi :
« Vous le savez bien, vous, Michèle Cotta (sous-entendu légèrement déplaisant : vous qui connaissez si bien Mitterrand), que les sociaux-démocrates européens sont intervenus pour démontrer à François Mitterrand qu'il ne fallait pas faire l'union avec les communistes !
– Ils le font depuis très longtemps sans que vous vous en soyez inquiété !
– Oui, et ils ont fini par gagner. Imaginez l'enjeu européen ! Si le Parti communiste était au pouvoir quelque part, ce serait toute la social-démocratie qui serait remise en cause ! Si je vous dis que ces sociaux-démocrates là ont mis le paquet pour convaincre Mitterrand, je sais ce que je dis !
– Et les Soviétiques, ils ne sont pour rien dans la rupture ?
– Ils ne l'ont jamais fait officiellement, en tout cas !
– On ne vous parle pas de la main de Moscou, mais vous, vous découvrez la main de
Weitere Kostenlose Bücher