Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
d’après l’échec de 1988. C’était le Chirac prêt à en découdre pour retrouver son rang.
Je peux me tromper...
13 janvier
François Mitterrand plonge tête la première dans la préparation du congrès de Rennes. Dans les colonnes de Vendredi 3 , le voici quidéfend le fait que Laurent Fabius dépose une motion pour son compte, prenant pourtant ainsi le risque de faire exploser le clan des mitterrandistes.
Attitude incompréhensible, je trouve, et ce, pour plusieurs raisons. La première et la plus importante, c’est qu’il descend dans l’arène à l’occasion d’un congrès : ce n’est ni son statut ni son intérêt. La seconde est plus personnelle : pourquoi tient-il tant à Fabius ? Son fils spirituel ? Mais il m’avait semblé que l’exercice du pouvoir entre 1984 et 1986 avait parfois été sinon conflictuel, du moins tendu ( cf. la visite de Jaruzelski en 1985). Bon, la seule réponse plausible est que les liens entre les deux sont davantage affaire de sentiment que de raison.
18 janvier
Charles Hernu 4 est mort hier, quasiment en direct sur les écrans. Il faisait un meeting, le soir, près de Lyon. Les images diffusées dès la fin de soirée le montrent pris d’un malaise au commencement d’un discours. On l’aide à quitter la tribune. Il est mort quelques instants après.
Voilà quelqu’un dont la vie a été brisée par la politique après que celle-ci lui eut longtemps tout donné. Spécialiste des questions militaires au PS, il était un des rares mendésistes à s’être ralliés, depuis 1963, à Mitterrand. Pour ce fils de gendarme, le ministère de la Défense était l’accomplissement dont il n’avait jamais osé rêver.
Gai, débordant d’énergie, le regard clair et direct, gardant le silence sur les multiples pontages cardiaques qui l’affaiblissaient depuis des années, il était capable de faire croire que le moindre de ses communiqués était la plus importante des choses au monde. Chacun riait, parfois avec envie, de son sens hyperdéveloppé de la communication.
Je me souviens encore, comme d’un exemple de l’extraordinaire aveuglement qui peut frapper tout homme politique, de sa campagneélectorale à Saint-Étienne où il n’y avait guère de monde derrière lui, ni dans les rues, ni dans les salles. Il fallait l’entendre dire alors que toute la ville était pour lui ! Il s’était fait battre à plate couture dans la capitale des pneus Michelin. Il en avait été sonné quelques jours, puis était reparti en quête d’une autre circonscription : Villeurbanne 5 , où il finit par se faire élire un peu plus tard.
Il aimait Mitterrand et souffrit mille morts de son lâchage, pourtant tardif, dans l’affaire du Rainbow Warrior . Après son départ de la Défense, il fut pourtant réélu député du Rhône par deux fois : en 1986 – il fallait le faire ! – et en 1988.
Il tenta par la suite de rentrer en grâce, sans jamais y parvenir tout à fait. Mitterrand le revoyait depuis quelques mois, le plus souvent lorsque les anciens Conventionnels étaient reçus à l’Élysée. Mais enfin, rien n’était plus comme avant. Il arrivait à Mitterrand de fuir son regard.
J’écris ces quelques lignes, ce soir, avant d’évoquer ma rencontre avec Jacques Chirac, aujourd’hui à 16 heures. Il m’a reçue à l’Hôtel de Ville en compagnie de François Bonnemain et de Jean-Pierre Teyssier qui viennent étoffer son état-major et sont en charge de la communication.
J’avais raison : Chirac est bien remonté sur sa bête, comme si l’offensive de Charles Pasqua et de Philippe Séguin l’avait brutalement ramené à la réalité. Il souhaite s’exprimer – sur TF1, cette fois – le plus vite possible 6 .
Avait-il vu venir le coup ? Il me répond que non, et qu’il a pour Pasqua une réelle et ancienne amitié.
« Je voyais bien qu’il faisait la tête, qu’il regrettait la nomination d’Alain Juppé à la tête du mouvement, mais je ne pensais pas qu’il pourrait d’abord faire route commune avec Philippe Séguin, et ensuite livrer à l’AFP le communiqué rendu public la semaine dernière. »
La manœuvre lui semble limpide : il s’agit, pour les deux conjurés, de se débarrasser d’Alain Juppé à la tête du parti, d’en prendre les commandes tout en gardant Chirac comme une sorte de président potiche.
« Ils se trompent, s’ils croient que je suis foutu ! » me dit-il en me raccompagnant à la
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