Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Elle parle à peine, d’une voix basse et harmonieuse ; ce qu’elle dit, sans excès, sur les gens et sur les choses, me paraît toujours vrai, aigu. Comme tout le monde, son passé me touche. Ce dont je suis sûre ce soir, c’est qu’elle a un avenir.
11 février
Aux assises du RPR, aujourd’hui, règlement de comptes magistral entre Chirac et Pasqua. Depuis un mois que les conjurés, Pasqua et Séguin, ont lancé leur opération au sein du mouvement gaulliste, Chirac, comme je le prévoyais, est redevenu Jacques Chirac. Il n’a rien épargné aux deux conjurés de janvier : tandis qu’Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et Jacques Toubon montaient sans arrêt au créneau dans tous les journaux, les radios, les télévisions, Chirac s’est remis à faire ce qu’il fait le mieux : le tour de France des podiums, en volant une partie de ses arguments au tandem Pasqua-Séguin – l’identité nationale, la place de la France dans le monde, la place du RPR dans l’État, la régulation de l’immigration, etc.
Nicolas Sarkozy s’était occupé avec efficacité de « composer » la salle, largement acquise au maire de Paris. Alain Juppé avait plaidé depuis des semaines contre le putsch et les deux putschistes ; Jacques Toubon l’avait fortement aidé à victimiser Chirac. Bref, lorsqu’ils sont entrés dans la salle, Pasqua et Séguin ont tout de suite senti que ceux-là mêmes qui les exhortaient hier à l’affrontement avec Chirac étaient prêts à les laisser tomber. L’extraordinaire talent d’orateur de Séguin n’est pas parvenu à retourner les militants. Quant à Pasqua, était-il ému, était-il hésitant à porter l’estocade ? Il a prononcé un discours écrit qu’il a lu sans émotion ni passion, sans faire place à la moindre improvisation.
Conclusion : Chirac a gagné haut la main. Sa motion a obtenu plus de 65 % des voix. Pasqua et Séguin ont eu le reste. Et le RPR s’est retrouvé comme si rien ne s’y était passé depuis un mois.
Si, j’oubliais, il s’est passé quelque chose : Chirac est sorti de son blues. De quoi remercier ses adversaires !
16 février
Le hasard, qui fait bien les choses, comme on sait, fait que j’ai déjeuné jeudi 15 avec Lionel Jospin au ministère de l’Éducation nationale, et le lendemain avec Laurent Fabius à la présidence de l’Assemblée nationale. Jospin avait invité toute la rédaction politique de TF1 : nous n’étions pas moins de six. Chez Fabius, en revanche, nous n’étions que deux journalistes.
À l’évidence, l’un et l’autre commencent à agencer leurs relations publiques en vue du prochain congrès de Rennes. Ces deux-là ne se sont jamais aimés. C’est encore plus vrai aujourd’hui que le comité directeur de janvier dernier a comptabilisé sept motions, dont celles de Laurent Fabius, de Mauroy et de Jospin.
Il y aura donc bien, selon toute probabilité, bataille de motions à Rennes. D’après Jospin, la motion de Fabius n’a aucune chance d’arriver en tête. D’après Fabius, il n’y a aucune raison qu’elle ne le soit pas. En attendant, ils fourbissent leurs armes par rédactions interposées.
15 mars
Je n’ai pas eu le temps de faire le point sur le congrès de Rennes où je me rends demain. Il n’a pas encore eu lieu que déjà tout le monde se déchire. Je résume ici les épisodes précédents tels qu’ils apparaissent à l’issue du vote des fédérations socialistes, le dimanche 11 mars :
Fabius avait donc fini par déposer une motion et – surprise ! – Jospin et lui sont sortis au coude à coude 10 du vote des militants socialistes. Du coup, ceux-ci ont placé Jean Poperen (7,1 % des mandats) et Jean-Pierre Chevènement (8,5 %) en position d’arbitres dans le duel qui oppose les frères ennemis. Les deux hommes ont donc fait l’objet de démarches pressantes de la part de Fabius, de Jospin et de Mauroy, tout au long de la journée de dimanche où l’ensemble des représentants du PS s’est retrouvé à la Maison de la Chimie. C’est un endroit commode pour un parti divisé, car la multiplication des salons, grands et petits, offre à chacun des groupes la possibilité de se réunir en l’absence des autres !
« C’est tout juste, m’a dit Jean-Pierre Chevènement avec le ton corrosif qu’on lui connaît, si, pour rallier les signataires de ma motion, ils ne signeraient pas les uns et les autres un texte contre l’Europe des Douze ! »
Et Rocard,
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