Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
restaurant choisi.
Sur le fond, il ne l’a pas trouvé extraordinairement combatif : « Je ne l’ai pas trouvé désireux de s’engager contre Jacques Chirac. Il préfère le laisser faire pour le moment. Il hésite à brusquer quoi que ce soit. »
Que fera-t-il à propos de l’ordonnance sur le nouveau découpage électoral ? Maurice Faure lui a évidemment posé la question. Il a eu droit à une réponse sibylline. « Si j’avais à parier, me dit-il, je parierais qu’il finira par signer les ordonnances. Mais ce n’est là qu’une impression. Je n’en suis pas sûr... »
La cohabitation durera-t-elle ? Quel est son sentiment, après ces vingt-quatre heures passées avec Mitterrand ? Maurice Faure ne cache pas que, pour le moment, il le trouve prudent, attentif, certes, mais ne voulant pas en découdre sur-le-champ avec Chirac. Il est certain, en revanche, que, dans un avenir assez proche, « cela ne durera pas. On ne sait pas où ça cassera, ajoute-t-il, mais, j’en suis certain, cela cassera ! ».
Mitterrand lui a confié : « Il faut deux ou trois étapes avant d’en arriver là. »
3 octobre
Maurice Faure avait tort, pour une fois. Jean-Louis Bianco a prévenu officiellement par téléphone Jacques Chirac dix minutes avant le communiqué officiel de l’Élysée : le Président refuse de signer l’ordonnance sur le nouveau découpage électoral.
Contrairement à ce qui s’est passé le 14 juillet, l’affaire ne fait pas une ride dans la cohabitation. Comme si tout cela était désormais normalisé, comme si c’était un acte habituel de la cohabitation. L’Élysée ne dit rien. Matignon se contente de faire dire que ce n’est ni « un drame, ni une surprise ».
Je croise Jacques Toubon, toujours en mouvement, dans les couloirs de l’Assemblée nationale : « Nous n’engagerons pas de controverse politique avec Mitterrand, m’explique-t-il. Les Français ont d’autres préoccupations en ce moment ! »
Il a raison. Chacun, obsédé par les menaces terroristes, s’est mis à regarder avec suspicion les poubelles sur les trottoirs, les paquets qui traînent. Les grands magasins sont désertés. L’affaire de la rue de Rennes a marqué les esprits de façon indélébile, il me semble. Alors, le découpage électoral...
Mitterrand et Chirac l’ont compris : le premier n’a pas voulu donner de publicité à son refus ; le second a écrasé le coup au lieu de l’amplifier.
Le cas Barre : à l’UDF, le plus grand nombre le pousse à se présenter en 1995. Parce qu’il a condamné en son temps la cohabitation, mais aussi parce qu’il est resté dans les esprits comme quelqu’un d’intègre, de moral, de rigoureux. Il se défend de faire de la démagogie, affirme ne pas vouloir faire de politique : idéal, pour les Français !
Mais Giscard, Lecanuet, Simone Veil ? Que deviennent-ils, dans cette attente de Barre ? Après tout, Giscard pourrait être tout désigné pour reconquérir son trône. Lecanuet a été candidat, il ne serait pas exclu qu’il le redevienne. Et Simone Veil reste la plus populaire des personnalités politiques. Je doute qu’ils soient heureux de voir Barre prendre de jour en jour une nouvelle importance.
8 octobre
Avant-hier matin, le 6, Jacques Chirac sur l’antenne d’Europe 1.
Incroyable mais vrai : quelques secondes avant qu’il ne commence à s’exprimer au micro d’Europe 1, à 8 h 15 précises, donc au moment où le journal se terminait, une dépêche AFP est tombée : il s’agissait, dans la troisième cassette vidéo du Djihad islamique, de l’appel pathétique de trois otages français au Liban, Marcel Carton, Marcel Fontaine et Jean-Paul Kauffmann. « Nous sombrons », disait Kauffmann. « Nous ne cessons de penser à la mort », disait Fontaine. « Je n’en peux plus », lâchait Marcel Carton.
De la même façon qu’il y a trois semaines une bombe avait explosé au Pub Renault au moment précis où Jacques Chirac avait commencé à s’exprimer sur RTL ! Évidemment, ce n’est pas un hasard. Il y a quelque chose de terrifiant dans cette impression qu’un chef d’orchestre anonyme suit ainsi délibérément les interventions du Premier ministre. Sans doute cette offensive psychologique fait-elle partie du b.a.-ba de l’action terroriste.
À noter aussi que c’est alors qu’on cherche du côté des Syriens que les Libanais se rappellent à notre bon souvenir. Il n’y a pas
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