Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
à lui, a fait son entrée place Vendôme.
Vrai, quel ministère ! Il ne s’attendait pas à ce que, dès le début, l’affaire Tapie lui prenne 50 % de son temps ! Il savait tout, en réalité, de Bernard Tapie. Tout le risque qu’il y avait – sans préjuger de l’issue des actions intentées contre lui – à en faire une personnalité politique de premier plan. Il ne comprend pas pourquoi le Président et Pierre Bérégovoy l’ont appelé au gouvernement. Dès que Tapie s’est senti mis en péril par l’affaire Toshiba, il a commencé à appeler Vauzelle deux fois par jour, à appeler lui-même tous les magistrats en les traitant à sa manière, du genre : « Je vous ferai casser, moi, mon brave, vous finirez à Pétaouchnoque ! »
C’est vendredi dernier au soir qu’avec Dumas et Kiejman, Mitterrand est convenu qu’il valait mieux laisser tomber, ne pas se battrepour Tapie. Ce jour-là, il a aussi décidé que Bérégovoy devait obtenir sa démission.
Béré s’est exécuté, la mort dans l’âme, dès le samedi après-midi.
Dans ce rappel des faits, Vauzelle ne peut se retenir de rire en me racontant, au passage, cette anecdote électorale sur Bernard Tapie. Venu le soutenir, lui, Vauzelle, dans la région d’Arles, Tapie lui demande ce qu’il doit faire.
« Sois naturel, lui dit Vauzelle en vieil habitué des meetings, parle de l’OM. Ici, tout le monde adore l’OM. Parle des banlieues, de tout ce que tu fais ! »
Tapie va boire un coup dans un bistrot. Au mur, de grandes affiches de corridas.
« Quoi, tuer des taureaux ! s’exclame Tapie. C’est dégueulasse ! Comment peut-on faire des choses pareilles ? »
À la sortie du café, Michel Vauzelle le met en garde : « Tu sais, ici, ils adorent les corridas. C’est une religion lourde.
– Bon, dit Tapie, je ne le dirai plus. Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ?
– On va à la sortie d’une usine.
– Ça alors, je déteste ! »
Les choses pourtant se passent assez bien, sauf que les ouvriers, qui ne le connaissent pas, sont terrorisés par sa façon directe de les aborder.
Vauzelle et Tapie remontent en voiture. Destination : le meeting de fin de soirée, où Tapie est excellent.
Je reviens au récit de l’éviction de Bernard Tapie. La chose était donc prévisible, y compris que Michel Vauzelle, élu des Bouches-du-Rhône, serait nommé ministre de la Justice au moment même où deux personnalités essentielles du même département allaient être inculpées : Michel Pezet et Bernard Tapie ! Les deux à la fois...
Voilà donc Michel Vauzelle simultanément en butte à deux accusations : la première est de tout faire pour activer les poursuites contre deux de ses rivaux potentiels dans la région ; la seconde, à l’inverse, d’empêcher la bonne marche de la justice dans son propre département ! Il pense, comme me l’a dit Tapie l’autre jour, que les inculpations s’égrèneront jusqu’aux élections de 1993. Véritablement, que peut-il faire ? Sanctionner des magistrats lorsqu’ils parlent ? Quelle preuve a-t-il qu’ils ont parlé ? que ce n’est pas le greffier ou le planton qui a fait ses confidences à la presse ? Comment démontrer que lesmagistrats sont des ennemis politiques alors que les « petits juges » sont considérés comme apolitiques par les journalistes ?
Hier, le juge Jean-Pierre, dans un article paru dans Le Monde , a traité le ministre de la Justice de « criminel ». Du coup, dans l’après-midi, il a été accablé de coups de téléphone de Jack Lang et de Roland Dumas lui conseillant de répondre à cette accusation, façon de lui reprocher de ne rien faire. Que répondre, et comment sanctionner ? Pour délit d’opinion ?
Il n’en est pas pour autant favorable à l’indépendance de la magistrature, au moins des procureurs : qu’elle n’ait plus aucun rapport avec le politique serait, à ses yeux, une mauvaise chose. Il cite l’exemple de la drogue : il faut bien que ce soient les politiques qui fixent les grands axes à suivre. Impossible de laisser chaque magistrat agir à sa guise : sanctionner ici, autoriser là.
Pour l’heure, il ne peut ni ne veut sévir contre des juges d’instruction pour des propos qu’ils auraient tenus. Le remède serait pire que le mal.
Ce dont il souffre beaucoup, c’est de l’attitude du cercle restreint qui entoure Mitterrand, toujours prompt à convaincre « François » que les autres
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