Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
arrestations. »
Oubliées, donc, les pages du traité de Maastricht dans ce conflit qui menace le gouvernement et dépasse les partis : celui des camionneurs. Dans ce contexte, André Gauron, du CSA, me téléphone. Il me parle des difficultés entre TF1 et le CSA. (Je jure que les lignes que j’écris là, en ce moment, sont, au mot près, la réalité !) Difficultés ? Quelles difficultés ? TF1, me dit-il, n’a pas respecté les obligations de fiction exigées par le cahier des charges. En quoi cela me concerne-t-il ? Je suis directrice de l’information, pas de la fiction. Il insiste :
« Je suis partisan, moi, contrairement à d’autres, d’une compensation. L’idéal serait que vous arrêtiez les attaques contre le gouvernement, à propos des camionneurs. »
Je fais mine de ne pas comprendre :
« C’est tout à fait un autre secteur, je n’ai rien à y voir !
– Non, répète-t-il comme si j’étais un peu simple d’esprit. Il y a beaucoup de réactions, autour de moi, contre le journal. Je ne pourrais pas plaider la cause de TF1, si cela continue. »
Je lui dis qu’il peut infliger toutes les amendes qu’il veut à TF1 pour n’avoir pas respecté ses obligations en matière de création originale, mais que cela ne changera rien à la couverture par les journalistes du conflit des camionneurs.
Il raccroche, furieux. Moi aussi.
Un des pires moments des relations entre le politique et l’audiovisuel ! Décidément, les choses n’ont pas changé ! Encore que je me sois habituée depuis très longtemps à cette réalité : ce ne sont pas les pressions exercées sur les médias qui sont anormales, c’est le fait qu’on leur résiste...
Déjeuné, aujourd’hui, avec Laurent Fabius, soit trois jours avant le congrès socialiste prévu pour la fin de la semaine :
« Certains, m’a-t-il dit, ont demandé le départ de Chevènement. Je ne suis pas d’accord. Je ne peux pas, demain, essayer de changer le Parti, l’ouvrir à d’autres courants, les radicaux, par exemple, ou les écolos, et commencer par exclure Chevènement. Cela n’aurait de sens que s’il menaçait la cohésion interne du Parti, ce qui n’est pas le cas. »
Il a poursuivi : « Bien sûr, il ne fera aucune déclaration, il ne développera pas son opposition à Maastricht dans la campagne officielle. Il devrait accepter la loi du Parti, se taire. Le fera-t-il ? »
Jusqu’où va l’ouverture, aujourd’hui ? Jusqu’à Jean-Pierre Soisson ? Réponse sèche de Fabius : « Il faut tout de même qu’il ait une stratégie et qu’il s’y tienne ! »
Alors, jusqu’à Waechter ? Elle ne va pas bien loin, dans ce cas...
Le Monde a sorti dans l’après-midi la pré-inculpation d’Henri Emmanuelli sous forme de rumeur : on dirait, quelqu’un a dit, quelqu’un a su, que le juge Renaud Van Ruymbeke va inculper le président de l’Assemblée nationale, ex-trésorier du PS, pour fausses factures.
9 juillet
Pierre Bérégovoy est venu parler au JT de 20 heures du conflit des camionneurs, qui se tasse après qu’il a fait intervenir l’armée. Impossible d’imaginer, tellement il est aimable avec Patrick Poivre d’Arvor, avec Gérard Carreyrou et moi, qu’il ait pu lui-même « actionner » quelqu’un pour nous demander de nous abstenir de passer tous les jours, à la moindre occasion, des images de la France paralysée ! C’est cela aussi, le pouvoir : on fait faire par les autres les tâches dont on rougirait de s’acquitter soi-même.
Tout au plus, pendant le quart d’heure que dure son intervention, se permet-il de faire, sur un ton ferme sans être agressif, quelques mises au point du genre : « Permettez-moi de vous dire que ce n’est pas tout à fait exact », ou : « Je voudrais aller jusqu’au bout de mon propos. » Il le fait bien, c’est-à-dire avec rondeur.
À l’antenne, il est parfait, souriant, beaucoup plus humble que lorsqu’il était ministre des Finances. Surtout, il donne de son action à la tête du gouvernement une image d’autorité et, ajoute-t-il, de détermination.
Depuis bien longtemps, le terme « autorité » n’avait plus guère été employé par un Premier ministre socialiste. Pas plus que la décision de faire appel aux militaires pour déblayer les grands axes routiers bloqués. Loin de s’en défendre ou de s’en excuser, Bérégovoy revendique au contraire sa volonté de faire respecter l’ordre. Le
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