Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
chômage et exclusion, regrette que le lien entre le mark et le franc « bride la société française ». Il est vigoureux, avec sa tête de boxeur qui, paraît-il, plaisait beaucoup aux filles, quand, tout jeune, il était un militant de mouvements plus « durs » que l’UDF, en lutte farouche contre le communisme et l’indépendance de l’Algérie.
Après lui, Pierre Méhaignerie 12 se fait applaudir en convenant devant la salle que si l’Europe ne procure aucune sécurité aux Français, ils s’en détourneront. Il parle, centriste parmi les centristes, de l’échec du big-bang de Rocard qui a fait un flop au premier tour. Je me dis qu’en lançant, au moment où il l’a fait, cet appel aux centristes, Rocard n’avait pas la moindre chance d’être entendu. Sur le moment, j’ai cru que c’était possible. Et puis, ce soir, en voyant Méhaignerie « coller » à Balladur, je mesure toute la distance qu’il y a entre le centre et le socialisme, même incarné par Michel Rocard.
Peut-être, dans une tout autre conjoncture, si le PS avait par exemple eu le vent en poupe, les choses auraient été plus envisageables. Pas en 1993. Les résultats du premier tour l’ont bien montré : le big-bang n’a pas rapporté une seule voix aux socialistes.
J’écris ces lignes en attendant Balladur et m’interromps au moment où il prend la parole.
« C’est, dit-il, un moment singulier, comme finalement il s’en produit assez peu dans la vie d’un homme. Il dépend de vous – dit-il à ceux qui l’écoutent – que la fin de quelque chose soit le début d’autre chose. Ce qui compte, c’est ce que nous allons construire sur les décombres du socialisme... »
Édouard Balladur n’est pas un orateur de congrès. Il est pourtant, lorsqu’il dit ces phrases, convaincant, parce que pénétré du fait que c’est son propre destin qui, sans doute, basculera d’un coup dans quelques jours.
Le reste est plus classique : « Il faut changer de politique pourrénover notre pays », « Il faudra changer dans la tolérance et le respect des autres », « Y a-t-il une autre politique pour lutter contre le chômage ? Y a-t-il un décret divin qui nous condamnerait à avoir un nombre de chômeurs double de celui de l’Allemagne ? ».
Après un rappel de la nécessité de relancer la croissance grâce aux baisses des charges, notamment celles qui pèsent sur le travail, un passage sur la sécurité, un autre sur l’interdiction de l’immigration clandestine, et cette phrase que je n’arrive pas vraiment à décrypter : « Tout ceci, dit-il, peut-il être fait en deux ans ? Non, mais en cinq ans, oui ! » Pense-t-il avoir devant lui cinq ans, si Mitterrand reste, ou bien plutôt s’il ne reste pas ?
Je rentre d’Ille-et-Vilaine dans la nuit pour entendre que Jacques Chirac, qui était allé prêcher la bonne parole, lui, dans le Pas-de-Calais, a tenu des propos aussi provocants qu’inutiles, à ce stade, à l’égard de Mitterrand. Il a dit en substance que si le second tour était aussi clair que le premier, Mitterrand devrait démissionner 13 .
Pourquoi maintenant, à quelques heures du verdict du second tour ? Chirac et Balladur se sont-ils répartis les rôles, l’un jouant le bon, l’autre le méchant ?
24 mars
Gorges nouées, ce mercredi, à l’occasion du dernier Conseil des ministres. Cette fois, Mitterrand n’adresse pas un au revoir à ses ministres. C’est un adieu. Car, quel que soit son état de santé, l’âge a fait son office : il ne se représentera plus.
« Privé de vous, leur dit-il, je me sentirai seul. »
Il leur confirme ce que chacun des ministres sait : qu’il a l’intention de rester, de ne pas démissionner.
« À qui devrais-je remettre mon épée de général vaincu ? a continué Mitterrand. À Jacques Chirac, à Giscard, à Francis Bouygues, à Poivre d’Arvor ? »
Lorsqu’on me rapporte cela, je crois d’abord que c’est une plaisanterie : Chirac ou Giscard, je comprends. Que Mitterrand pense que la défaite peut venir de TF1 me paraît impossible.
Mais oui, il a bien dit cela ! Je note que mon départ de TF1 n’aura pas arrangé les rapports entre l’Élysée et les médias...
Au-delà de TF1, parmi les raisons invoquées de la défaite, la chute du mur de Berlin, le mouvement du monde, certes, mais aussi le mode de scrutin. Le regret de Mitterrand, il le dit, est de n’avoir pas réussi à convaincre ses deux
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