Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
présents, du sourire largement affiché de ceux qui appartenaient à l’équipe présidentielle à la raideur des partisans du Premier ministre. Je crois avoir vu, dans l’assistance, le visage crispé de Maurice Ulrich, et celui, épanoui, de Jean-Louis Bianco. Lequel m’a confié, dans les jardins de l’Élysée, quelques minutes après la fin de l’interview, que Mitterrand avait prévenu Jacques Chirac dès le 9 avril qu’il ne signerait pas un texte remettant fondamentalement en cause toute la politique suivie depuis 1981.
15 juillet
Ce matin, Jacques Toubon 2 a mené la charge sur Europe 1. Selon lui, c’est Mitterrand qui porte la responsabilité de cette première crise de la cohabitation. Son discours est caricatural.
Hier, dans l’après-midi, je l’avais appelé au téléphone. Il m’avaitdit qu’il ne pouvait rien me dire, qu’il rappellerait. Il l’a fait le soir même, le 14, alors qu’un bizarre communiqué émanant de la Rue de Rivoli prenait acte platement de la décision de Mitterrand, ajoutant que toutes ses remarques ayant été prises en considération, le gouvernement avait inscrit le projet d’ordonnances à l’ordre du jour du prochain Conseil des ministres pour qu’il soit transformé en projet de loi soumis au grand galop au Parlement.
Ce qui n’a pas empêché Toubon de me confier que le premier réflexe de Chirac avait été d’ouvrir une crise, de démissionner avec fracas, donc de provoquer de nouvelles élections législatives pour mettre le Président une bonne fois au pied du mur. Tel était son état d’esprit au cours du déjeuner qu’il offrait à l’Hôtel de Ville, lui, le 14, à quelque douze cents militaires invités après le défilé. Même si cela ne s’est pas vu : « Je ne dis rien, a-t-il jeté aux journalistes conviés qui le pressaient de questions. Rien de rien, rien du tout ! »
Puis, conseillé par Édouard Balladur, il a commencé à mettre une sourdine. Il a néanmoins demandé à Toubon de préparer contre le Président un texte au picrate qu’il pensait prononcer à la télévision le soir même, prenant les Français à témoin de l’agression présidentielle.
Chirac est-il prêt à rebondir, sur ce refus du Président, pour tout casser, démissionner, réclamer de nouvelles élections ? Je ne sais. S’il le fait, à quoi cela pourra-t-il aboutir ? Il n’a aucun pouvoir de faire démissionner le président de la République si celui-ci ne le veut pas !
Il paraît qu’autour de Chirac, ses plus proches sont divisés : Jean-Claude Gaudin 3 y est allé de son couplet contre Mitterrand : « Sa décision montre que le chef de l’État n’est plus un arbitre, mais un joueur supplémentaire dans l’équipe de l’opposition » ; Jacques Toubon a lui aussi conseillé à Chirac de prendre date avec violence, le jour même ou dès le lendemain, en dénonçant l’« agression » de Mitterrand.
Mais Balladur plaide l’apaisement, et Pasqua aussi – mais Pasqua, c’est pour des raisons électorales : le scrutin majoritaire n’ayant pas encore été rétabli, et le système de représentation proportionnelle étant toujours en vigueur, le résultat de nouvelles élections serait loin d’être certain. Surtout au moment où, comme prévu au bout de quatre mois, la cote de Jacques Chirac baisse légèrement tandis que celle de Mitterrand, qui ne fait rien et n’en peut mais, progresse...
Pas de crise, donc. Balladur a enveloppé tout cela de son onction.
15 juillet, toujours
Occupée par le refus de Mitterrand de signer les ordonnances, j’ai omis de parler de ma rencontre avec Francis Bouygues au cours de cette même garden-party d’hier. Nous nous étions vus à la Haute Autorité, quelques mois auparavant ; il était venu soutenir un dossier de radio privée et j’avais trouvé formidable l’histoire de cet homme telle que me l’avait racontée mon ami Paul Granet : parti de rien, devenu une très grosse fortune, cet homme avait failli mourir d’un cancer et en avait triomphé. Il m’a invitée à dîner le soir même au Carré des Feuillants, restaurant renommé près de la place Vendôme.
À l’heure dite, sa voiture, une énorme Mercedes, était en bas de chez moi. Il m’a embarquée avec une sorte de simplicité bourrue que je n’attendais pas. Le dîner a été à la hauteur : délicieux. Et fructueux.
Il s’intéresse bien sûr à la privatisation d’une chaîne, qu’il s’agisse
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