Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
presse et les bouquins. Il faut dire qu’il a été élevé à grande école, celle de son père, Jean-Marcel Jeanneney, ministre du général de Gaulle en 1969. Bon sang ne saurait mentir. Ce qui est marrant, c’est que son père s’est battu, il y a presque vingt ans, et sans succès, pour la régionalisation voulue par le Général. Et que Jean-Noël se bat aujourd’hui, avec j’espère plus de succès, pour la décentralisation de la radio publique...
8 septembre
Muet depuis plusieurs mois, Michel Rocard a profité de l’université d’été des Jeunes rocardiens, aux Arcs, pour s’exprimer à nouveau. Il a fixé, dans le langage qui lui est propre, les sept références qui doivent être celles des socialistes : liberté, démocratie, solidarité, etc.
Cette fois, pas plus que les précédentes, sa stratégie n’est pas simple : s’il veut être en 1988 le candidat des socialistes à la présidentielle, il lui faut à la fois « coller » à Mitterrand, et, par ailleurs, exister en dehors de lui. Aujourd’hui, il a en outre une difficulté supplémentaire : la cote de Mitterrand dans l’opinion publique est meilleure que la sienne, ce qui n’était pas le cas en 1981. Au contraire, plus le gouvernement Chirac gouverne, et plus Mitterrand devient populaire. C’est à vous dégoûter de gouverner !
Aujourd’hui, de surcroît, l’opération Rocard aux Arcs est comme effacée par une actualité franchement préoccupante : le terrorisme. Le mot fait peur, mais je n’en vois pas d’autre. Toujours est-il qu’une bombe vient d’exploser, et pas n’importe où : dans des locaux de la Ville de Paris où elle a fait un mort et 18 blessés. Chirac parle aussitôt de fermeté, de mobilisation. Il ne dit rien sur les auteurs de l’attentat, encore moins sur leurs exigences.
10 septembre
Dernière interview de la présidente de la Haute Autorité au Monde . Je l’ai relue, comme s’il s’agissait pour moi d’un autre monde. J’ai déjà tourné la page – que dis-je tourné la page : jeté le livre !
14 septembre dans la nuit
En quarante-huit heures, deux attentats sanglants : hier, une bombe a explosé dans le supermarché Casino des Quatre-Temps, sur le parvis de la Défense ; aujourd’hui, c’est le Publicis-Renault des Champs-Élysées qui a été touché. Chirac vient de participer il y a quelques heures au « Grand Jury » RTL- Le Monde : il a menacé de représailles les pays soutenant le terrorisme, a annoncé le rappel de quinze compagnies de CRS à Paris, le renforcement des contrôles aux frontières. Il a parlé de la « lèpre » du terrorisme, parlé de « guerre sans merci », et affirmé avec force qu’il ne cédera pas 9 .
Ce qui est surprenant, c’est que les terroristes ne cherchent pas àdresser Mitterrand et Chirac l’un contre l’autre. Le communiqué de revendication émane du Comité de solidarité avec les prisonniers arabes et du Proche-Orient, le CSPPA (j’ai noté son intitulé en entier, car c’est la première fois que j’entends parler de ce groupe), et il met en cause et le Président et son Premier ministre : « Nous faisons assumer à M. Mitterrand la responsabilité du non-respect de ses engagements extérieurs, et à M. Chirac ses promesses non tenues. »
Cela étant, la police est persuadée que les terroristes agissent en vue d’obtenir la libération de Georges Ibrahim Abdallah, chef des FARL 10 , aujourd’hui détenu en France. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec les otages français toujours détenus au Liban ? Chirac assure que non.
Une chose sûre : les terroristes, outre qu’ils écrivent le français en parfaits connaisseurs, ont commis leurs attentats vers 17, 18 heures – à temps pour que les images parviennent au JT de 20 heures.
Demain, je commence mes éditoriaux sur Europe 1. C’est la rentrée !
15 septembre
Premier jour à Europe. Jamais eu aussi peur avant la rédaction d’un édito. Dur, dur, ce nouveau début ! En dehors de Lagardère, je ne peux pas dire que l’accueil que m’a réservé Europe 1 a été, il y a quelques jours, débordant d’amitié. J’y ai d’abord été accueillie, pour signer mon contrat, par le patron officiel de la radio, le sympathique Jacques Lehn, qui, obligé d’obéir à Lagardère, et trouvant manifestement son intrusion dans la conduite de la station insupportable, s’est contenté de me dire qu’il me prenait à
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